Droits des salariés

Barème Macron : « La décision de la Cour de cassation est décevante » (J. Jardonnet, Hujé Avocats)

Par Agnès Redon | Le | Jurisprudence des salariés

La Cour de cassation, invitée à se prononcer sur la conformité du barème Macron à des conventions internationales signées par la France, a rendu sa décision le 11/05/2022.
Ainsi, les juges ne pourront pas s’écarter du « barème Macron » et apprécier « au cas par cas » (in concreto).
Maître Jérémie Jardonnet, avocat associé au cabinet Hujé Avocats, expert en droit social, analyse cette décision, pour CSE Matin.

Maître Jérémie Jardonnet, avocat associé au cabinet Hujé Avocats - © D.R.
Maître Jérémie Jardonnet, avocat associé au cabinet Hujé Avocats - © D.R.

Vous attendiez-vous à cette décision rendue par la Cour de Cassation ?

Cette décision est décevante et surprenante. D’une part, elle est à rebours de la position de l’Avocat général, qui s’exprime au nom de l’intérêt général et dont le rôle est essentiel. Ses avis sont importants au sein de la Cour de cassation. Selon l’article L432-1 du code de l’organisation judiciaire, le parquet général « rend des avis dans l’intérêt de la loi et du bien commun. Il éclaire la Cour sur la portée de la décision à intervenir ». En ce sens, le parquet général est le défenseur de la loi et doit avoir un rôle d’interface entre la Cour et la société civile.

D’autre part, l’analyse au fond de la décision ne me convainc pas.

Pourquoi n’êtes-vous pas convaincu par l’analyse de la chambre sociale ? 

Selon cette décision : 

  • Le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail, car le barème permet une indemnisation raisonnable ;
  • Le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard de cette convention internationale, car cela créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable qui serait susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges ;
  • La loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct.

l’indemnisation imposée par le barème ne permet pas toujours une indemnisation adéquate et raisonnable

Sur le premier point, je le constate tous les jours, l’indemnisation imposée par le barème ne permet pas toujours une indemnisation adéquate et raisonnable, en particulier pour les salariés ayant une faible ancienneté. Par exemple, un salarié ayant un an et demi d’ancienneté est susceptible d’obtenir entre un mois et deux mois de salaire à la lumière du barème. S’il ne retrouve pas de travail, il peut connaître une période de chômage de deux ans.

Ainsi, une indemnisation comprise entre un et deux mois de salaire ne répare nullement le préjudice subi.

Observez-vous d’autres préjudices pour les droits des salariés ?

le plus grave, c’est que ces salariés renoncent bien souvent à saisir la justice

Ce qui est le plus grave, c’est que ces salariés renoncent bien souvent à saisir la justice, et donc à contester leur licenciement. Le gain potentiel est extrêmement maigre, dans la mesure où ils devront également engager des frais d’avocats. Le litige peut durer plusieurs mois et années, ce qui demande du temps, de l’argent, de l’énergie. C’est également une source d’angoisse.

Sur le deuxième point, ce sont plutôt les entreprises qui pâtiraient de l’incertitude évoquée par la Cour de cassation. Mais je trouve que le message adressé est curieux. Les entreprises ont-elles besoin de connaître à l’avance combien leur coûtera un licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse ? N’est-ce pas créer une sorte de marché du licenciement sans cause réelle et sérieuse et dicter des décisions uniquement sur le coût prévisionnel ? Je crois que l’incertitude éventuellement créée n’est que le prix à payer d’un licenciement abusif. Car c’est bien de cela dont on parle : des licenciements sans cause réelle et sérieuse. La Haute juridiction semble ainsi préférer la prévisibilité du coût du licenciement sans cause réelle et sérieuse à l’indemnisation concrète du salarié victime d’un licenciement infondé. C’est une position intellectuellement difficile à appréhender.

Sur le troisième point, le comité européen des droits sociaux peut toujours être saisi et donner des avis / recommandations sur l’application de la charte au regard de la loi française. Ses avis seront transmis au gouvernement, mais ils ne s’imposeront pas. Ils peuvent seulement amener le gouvernement à réfléchir…

Voyez-vous des voies de recours contre cette décision ?

Ce que la Cour de cassation dit un jour, elle peut le défaire le lendemain

Cette décision est décevante mais je ne me résignerai pas. En droit français, et surtout en matière sociale et prud’homale, les revirements de jurisprudence sont légion. Ce que la Cour de cassation dit un jour, elle peut le défaire le lendemain. Le débat n’est certainement pas terminé. Les salariés, les avocats et les magistrats du fond peuvent résister et continuer de contester ce barème. C’est en résistant qu’on crée la jurisprudence et qu’on bouge les lignes. Le législateur peut revoir sa copie.