Droits des salariés

Jérémie Jardonnet (Hujé Avocats) : « Barème Macron : la résistance des juges n’est pas anodine »

Par Agnès Redon | Le | Jurisprudence des salariés

La Cour de cassation a jugé le « barème Macron » compatible avec l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT. Néanmoins, elle ne l’a pas jugé conforme. Décryptage et éclairage de cette décision et de ses implications par Jérémie Jardonnet, avocat associé au cabinet Hujé Avocats expert en droit social.

Barème Macron : Jérémie Jardonnet, avocat associé au cabinet Hujé Avocats, expert en droit social - © D.R.
Barème Macron : Jérémie Jardonnet, avocat associé au cabinet Hujé Avocats, expert en droit social - © D.R.

La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation a jugé le « barème Macron » compatible avec l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT. Elle ne l’a néanmoins pas jugé conforme. 

A la suite de sa saisine par un employeur condamné, par un Conseil de prud’hommes, à indemniser un salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt a été rendu par la Cour d’appel de Grenoble le 16 mars 2023.

En outre, un comité d’experts, dont les conclusions ont été adoptées par le conseil d’administration de l’OIT, recommande au Gouvernement français d’examiner, à intervalles réguliers, et en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du barème Macron. Cet examen a pour objectif de s’assurer que les paramètres d’indemnisation prévus permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi.

• Si cette décision du comité d’experts n’est pas une décision émanant d’une juridiction supranationale s’imposant au juge français, elle a toutefois une autorité significative. Le juge français peut, voire doit, y recourir afin d’interpréter une convention ratifiée par la France.

• En l’espèce, depuis son entrée en vigueur le 24 septembre 2017, aucune évaluation n’a été faite du barème Macron par le Gouvernement, contrairement aux recommandations du comité d’experts. Il manque donc une condition déterminante pour que le barème puisse trouver application dans le litige soumis à la juridiction. Le barème Macron doit être écarté dans le présent litige.

Il y a eu de nombreux recours sur la conventionnalité du « barème Macron ». Quel est le contexte de cette nouvelle décision de la Cour de cassation ?

Le CEDS considère qu’il existe bien une violation de la Charte.

La conventionnalité du barème a été confirmée le 11 mai 2022 par la chambre sociale de la Cour de cassation, qui a également écarté tout contrôle « au cas par cas » (in concreto) permettant aux juges du fond de s’affranchir des plafonds d’indemnisation (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-14 490 et 21-15 247).

La Cour de cassation, dans ces espèces, a jugé que l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT était, certes, invocable directement entre particuliers, mais que le « barème Macron » était compatible avec cet article.

En revanche, s’agissant des dispositions de la Charte sociale européenne, elle a retenu qu’elles ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Leur invocation ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application du barème précité. Néanmoins, la position de la Haute juridiction n’a pas sonné le clap de fin du débat.

Rappelons, en effet, que dans une décision du 23 mars 2022, publiée le 26 septembre 2022, prise à l’unanimité de ses membres, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a considéré que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24 de la Charte sociale européenne, ratifiée par la France, n’est pas garanti par le « barème Macron ». Par conséquent, il y a violation de cet article (CEDS 23-3-2022 n° 171/2018, CGT-FO et CGT c/ France).

Dans une autre décision publiée le 30 novembre 2022, prise également à l’unanimité de ses membres, le CEDS a réitéré son avis en faveur de la non-conformité du « barème Macron » à l’article 24 de la Charte précitée (CEDS 30-11-2022 n° 175/2019, Syndicat CFDT de la métallurgie de la Meuse c/ France).

Le Comité considère qu’il appartient aux juridictions nationales de statuer sur la question en cause (une indemnisation adéquate) à la lumière des principes qu’il a énoncés à cet égard ou, selon le cas, qu’il appartient au législateur français de donner aux juridictions nationales les moyens de tirer les conséquences appropriées quant à la conformité à la Charte des dispositions internes en cause.

En d’autres termes, le CEDS considère qu’il existe bien une violation de la Charte, et si les juridictions ne veulent pas tirer les conséquences de celle-ci, alors le législateur doit revoir sa copie. Cependant, le CEDS n’est pas un organe juridictionnel, de sorte que ses décisions ne sont pas juridiquement contraignantes pour les juges français.

La position de la Haute juridiction a-t-elle atténué les contestations judiciaires du « barème Macron » ?

Absolument pas. Une première décision en date du 21 octobre 2022, rendue par la Cour d’appel de Douai, a écarté l’application du « barème Macron », aux termes d’une décision très motivée (CA Douai, 21 octobre 2022, n° 20-01 124).

La Cour s’empare notamment de la décision du CEDS et du principe de l’individualisation des décisions de justice, pour juger que le barème ne permet pas toujours une réparation adéquate du préjudice du salarié et qu’une prise en compte des « circonstances particulières de la cause » est nécessaire.

Postérieurement, la Cour de cassation a réaffirmé sa position quant à la conventionnalité du « Barème Macron ».

C’est donc au tour de la Cour d’appel de Grenoble de résister, elle aussi, à la position de la Haute juridiction ?

la Cour d’appel rappelle qu’une obligation a été mise à la charge du Gouvernement.

Dans une décision du du 16 mars 2023, la Cour d’appel retient que « La Cour de cassation a jugé les barèmes [Macron] compatibles avec la convention (…) OIT mais ne les a pas jugés conformes ; ce qui implique que ceux-ci sont susceptibles de devoir faire l’objet d’adaptation. (…) Il appartient en conséquence souverainement au juge d’apprécier l’étendue du préjudice causé au salarié par la perte injustifiée de son emploi ».

Plus précisément, la Cour d’appel rappelle qu’une obligation a été mise à la charge du gouvernement, à savoir examiner à intervalles réguliers les modalités du 'barème Macron" de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par ledit barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif, au sens de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT, d’effet direct entre deux particuliers.

Or, faute d’évaluation de ce barème, il manque une condition déterminante pour qu’il puisse trouver application, si bien qu’il y a lieu de l’écarter. En conséquence, il appartient à la juridiction d’apprécier souverainement l’étendue du préjudice causé au salarié par la perte injustifiée de son emploi.

S’agit-il donc d’un nouveau rebondissement ?

La résistance des juges du fond n’est pas anodine.

En effet, cette motivation est nouvelle, intéressante, et la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur celle-ci. Les motifs sont ingénieux, car ils ne critiquent pas frontalement la décision de la Cour de cassation, mais tirent les conséquences de l’inertie du gouvernement.

Cette subtilité pourrait permettre à la Haute juridiction d’assouplir sa position, sans réellement se dédire…La résistance des juges du fond n’est pas anodine. Je crois qu’elle reflète des dispositions qui ne sont ni acceptées juridiquement, ni socialement.