Droits des salariés

Seniors : « Il est essentiel de réaliser un diagnostic par thématique RH » (Amélie Gaudard, Groupe Alpha)


« Pour mieux appréhender la situation des seniors en entreprise et faciliter les négociations, il est essentiel de réaliser un diagnostic, par thématique RH, de la situation des salariés seniors afin de mettre en place des mesures réellement adaptées aux besoins spécifiques de l’entreprise, plutôt que de se contenter de suivre les tendances ou de s’aligner uniquement sur le contenu d’un accord de branche », déclare Amélie Gaudard, animatrice métier Groupe Alpha sur les sujets de politique sociale le 21/10/2025.

Elle s’exprime au sujet de la loi portant transposition des ANI en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social, définitivement adoptée par un vote à l’Assemblée nationale le 15/10/2025.

Amélie Gaudard, Groupe Alpha - © D.R.
Amélie Gaudard, Groupe Alpha - © D.R.

Que prévoit la loi sur les travailleurs expérimentés votée à l’Assemblée nationale le 15/10/2025 ?

Cette loi s’inscrit dans la continuité de l’ANI de novembre 2024, et se situe dans un double contexte : d’une part, les tensions attendues sur le marché du travail en raison du vieillissement de la population et de la baisse de la natalité ; d’autre part, l’objectif de prolonger la durée de vie active des salariés, idéalement en bonne santé. Paradoxalement, les statistiques montrent que les salariés âgés de 55 à 64 ans rencontrent les plus grandes difficultés à retrouver un emploi lorsqu’ils retournent sur le marché du travail. Seulement 60 % des personnes de cette tranche d’âge sont en emploi, un chiffre inférieur à la moyenne européenne. En outre, la proportion des demandeurs d’emploi de plus de 50 ans est en augmentation, passant de 16 % en 2008 à 27 % en 2024.

Les raisons de santé, souvent liées à la pénibilité et aux conditions de travail, sont à l’origine d’un tiers des départs anticipés des salariés seniors. Face à cette situation, une prise de conscience s’est opérée tant au niveau des partenaires sociaux que des pouvoirs publics, d’où la négociation de cet ANI en 2024 et sa transposition dans la loi.

La loi se concentre sur quatre axes principaux : l’accès à l’emploi, des entretiens approfondis autour des parcours professionnels, l’aménagement des fins de carrière et le renforcement du dialogue social, avec l’obligation de négocier autour de quatre thèmes obligatoires et de six facultatifs.

Une occasion de se concentrer davantage sur le développement et le maintien dans l’emploi des salariés seniors

Cette obligation de négocier, tant au niveau des branches que des entreprises de plus de 300 salariés, devra s’accompagner d’un diagnostic préalable. Ce diagnostic, dont la teneur sera définie par décret, devrait, pour adresser correctement le sujet, couvrir tous les aspects de la politique RH, avec un accent particulier sur les populations seniors, incluant notamment, les recrutements, la pyramide des âges, le turnover, la formation professionnelle, l’absentéisme, et la rémunération. Il servira de base à la négociation pour adopter les mesures les plus appropriées selon les enjeux spécifiques de chaque entreprise. Les thèmes obligatoires incluent le recrutement, le maintien dans l’emploi, l’aménagement des fins de carrières, et la transmission des savoirs et compétences. À cela s’ajoutent des thèmes facultatifs tels que comprenant le développement des compétences, l’accès à la formation, les effets des transformations technologiques et environnementales sur les métiers, les modalités de management et d’accompagnement, la santé au travail, la prévention des risques professionnels ainsi que l’organisation et les conditions de travail.

Cette loi représente une occasion de se concentrer davantage sur le développement et le maintien dans l’emploi des salariés seniors ainsi que la transmission et la reconnaissance de leurs compétences, tout en tenant compte des salariés intéressés par une retraite progressive ou un aménagement de fin de carrière. Il est crucial de ne pas négliger le maintien de l’employabilité, surtout dans un contexte où l’on travaille plus longtemps, avec des évolutions potentiellement rapides et drastiques du contenu des métiers.

En vertu de cette loi, les nouveaux accords de branche peuvent inclure un plan d’action type, notamment pour les entreprises de moins de 300 salariés, tandis que celles de plus de 300 salariés doivent ouvrir des négociations. Pourquoi très peu d’entreprises ont-elles signé des accords spécifiques, selon vous ?

Depuis les ordonnances Macron de 2017, il n’y a plus d’obligation légale de négocier sur le sujet de l’emploi des seniors.

Ces mesures ont pu régulièrement être utilisées par les entreprises afin d’éviter des PSE

À travers nos travaux comparatifs et dans les entreprises que nous accompagnons, nous avons pu relever la faiblesse du nombre d’accords d’entreprises récents sur le sujet. Lorsqu’il est traité, c’est souvent principalement dans le cadre de la GEPP (tel que prévu par la loi de façon optionnelle), et essentiellement sous l’angle de l’aménagement des fins de carrière, tels que des départs anticipés, des temps partiels ou des retraites progressives, avec des conditions plus favorables, telles que compléments de rémunération. Ces mesures ont pu régulièrement être utilisées par les entreprises afin d’éviter des PSE.

Par ailleurs, ces accords sont généralement insuffisants en matière de maintien dans l’emploi, de développement des compétences et d’accompagnement des parcours professionnels, hormis dans certains cas pour les salariés occupant des postes pénibles depuis de nombreuses années. Mais, au-delà des intentions, les investissements financiers, engagements opérationnels et plans d’actions concrets restent très faibles.

Des mesures, telles que l’incitation à des formations qualifiantes, certifiantes à travers le co-investissement dans des actions de formations longues et structurantes (abondement de CPF jusqu’à 100 % du coût de la formation, financement de bilans de compétences, de VAE, de CQP par exemple), mériteraient d’être renforcées.

En quoi le sujet des seniors s’inscrit-il de plus en plus dans une préoccupation de marque employeur ?

Cela renvoie à son rôle sociétal. L’image d’un accord d’entreprise est publique, et afficher des efforts en matière de conditions de travail et de maintien dans l’emploi peut avoir un impact significatif sur la perception publique.

Ce contexte est propice à la mise en place de mesures renforcées dans les entreprises

Cela est d’autant plus important dans un contexte où les salariés seniors sont souvent victimes de stéréotypes. La médiatisation croissante du sujet des travailleurs expérimentés, en particulier depuis la réforme des retraites de 2023, a incité de nombreuses entreprises à afficher un engagement en faveur de l’emploi et de la reconnaissance des travailleurs expérimentés.

Des initiatives, telles que le label « Emploi 45 + », témoignent de cet engagement. Par exemple, la branche de l’industrie pharmaceutique, concernée par une forte proportion de salariés âgés de plus de 50 ans dans ses effectifs, a signé un accord sur le sujet, applicable en janvier 2026. Après avoir largement favorisé le départ des salariés seniors, le secteur adopte actuellement un discours davantage centré sur le maintien dans l’emploi.

Ce contexte est propice à la mise en place de mesures renforcées dans les entreprises, dont les besoins évoluent également, y compris du fait des tensions rencontrées sur certains métiers.

Que recommandez-vous aux entreprises pour mieux appréhender la situation des seniors en entreprise et faciliter les négociations ?

Mon premier conseil serait de ne pas négliger la phase de diagnostic. Il est essentiel de réaliser un diagnostic, par thématique RH, de la situation des salariés seniors pour mettre en place des mesures réellement adaptées aux besoins spécifiques de l’entreprise, plutôt que de se contenter de suivre les tendances ou de s’aligner uniquement sur le contenu d’un accord de branche.

Les mesures doivent être adaptées aux enjeux et à la démographie de l’entreprise

Les mesures doivent être adaptées aux enjeux et à la démographie de l’entreprise, qu’il s’agisse du besoin de montée en compétences induit par la transformation des métiers, de la fidélisation, de la transmission des compétences, de l’absentéisme, de la pénibilité ou des aménagements de fins de carrière. Par exemple, pour les questions de pénibilité et de santé, il est crucial de travailler sur les conditions de travail. Pour la montée en compétences, il est important d’accorder une large place au sujet des mobilités et des parcours (y compris de reconversion) lors des entretiens professionnels, en proposant des outils d’accompagnement (grille de passerelles, parcours de formation, soutien financier, accompagnement dans la prise de poste…). Cela repose également sur une bonne connaissance des salariés, y compris de leur patrimoine de compétences.

Au-delà des représentants du personnel et des équipes RH, c’est également l’ensemble des acteurs de l’entreprise (direction, managers, salariés) qui doivent être formés, informés et outillés.

En somme, il est crucial de ne pas négliger cette phase de diagnostic pour que les deux parties s’accordent sur les priorités de négociation et les mesures à mettre en place.