Mohamed Sylla (UNSA) : « Le CSE n’est pas un simple guichet proposant diverses activités sociales »
Par Agnès Redon | Le | Culture et sorties
Secrétaire général UNSA-Lidl et juge au Conseil des prud’hommes, Mohamed Sylla analyse les évolutions qu’il observe dans les instances représentatives du personnel, en particulièrement sur les enjeux relatifs aux activités sociales et culturelles.
Comment observez-vous les mutations des instances de représentants du personnel ?
Les ordonnances de septembre 2017 ont abouti à la mutation obligatoire du Comité d’Entreprise (CE) en Comité Social et Economique (CSE).
Le CSE conserve toutes les attributions du CE alors pourquoi ce changement ? Plus qu’un changement de nom, il s’est agi d’englober les entreprises de 11 à 49 salariés (article L2311-2 du Code du travail) qui n’avaient pas l’obligation d’en mettre un en place.
De nombreux salariés ont une connaissance superficielle du CSE de leur entreprise ou parfois l’assimilent à un simple guichet proposant diverses activités sociales. Pourtant, c’est un outil indispensable et stratégique.
Il offre aux salariés un meilleur équilibre entre le pouvoir de l’employeur et les droits des salariés, en plus des divers avantages que sont les activités sociales et culturelles.
D’après vos observations, comment les salariés perçoivent-ils les missions du CSE ?
Les salariés ont tendance à identifier ou à rattacher uniquement le CSE aux seules activités ASC en raison parfois de la diversité des activités proposées. On peut citer : les voyages organisés par le CSE, la billetterie, les chèques vacances, les chèques CESU, le chèque déjeuner, etc.
Pourtant, les missions du CSE dépassent le cadre de ces activités :
- Il regroupe les fonctions des anciens CE en intégrant les fonctions de délégués du personnel et celle des CHSCT ;
- Il est composé de l’employeur et une délégation du personnel, élue lors des dernières élections professionnelles dans l’entreprise ;
- L’élection a lieu tous les 4 ans.
Le CSE a pour mission de présenter les requêtes individuelles ou collectives à l’employeur et se réunit chaque mois pour traiter de différents points. Le CSE promeut la santé, la sécurité et les conditions de travail dans l’entreprise, réalise des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel et enfin est aussi informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise (article L2312-11 et suivant du Code du travail).
Les attributions du CSE portent également sur la gestion des Activités Sociales et Culturelles (ASC).
Toutes ces activités permettent aux salariés de bénéficier de réductions intéressantes, d’avantages sociaux ou de participations financières du CSE (article L2312-78 du Code du travail).
Il convient donc de rappeler les moyens financiers dont dispose le CSE pour réaliser ses différentes missions et qui peuvent être regroupées en deux grands pôles : la mission de fonctionnement du CSE et les missions d’activités sociales.
Le CSE bénéficie de différents moyens pour exercer ses missions, qui sont principalement mis à disposition par l’employeur et déterminés en fonction de l’effectif de l’entreprise. C’est dans cet esprit que le CSE est doté d’un budget de fonctionnement et d’un budget ASC.
En effet, conformément à l’article L2315-61 du Code du travail, l’employeur verse au CSE une subvention de fonctionnement d’un montant annuel équivalent à :
- 0,20 % de la masse salariale brute dans les entreprises de cinquante à moins de deux mille salariés ;
- 0,22 % de la masse salariale brute dans les entreprises d’au moins deux mille salariés.
Quelle est la place de la négociation collective dans la gestion des ASC ?
En ce qui concerne ce budget, le Code du travail renvoie les entreprises et les organisations syndicales représentatives à la négociation d’un accord d’entreprise.
C’est grâce à cela que, dans certaines entreprises, le CSE propose des activités diversifiées et très attractives. En effet, les syndicats ont négocié la mise en place d’un accord d’entreprise doté de moyens importants permettant au CSE de mener des activités sociales et culturelles intéressantes pour les salariés.
Au prix d’un bon et solide dialogue social, certaines entreprises y voient une manière de :
- Garder les salariés ;
- Renforcer le sentiment d’appartenance à l’entreprise ;
- Remercier la fidélité des salariés.
Les salariés doivent-ils tous bénéficier de ces ASC ?
Ce point relevait de l’appréciation de chaque CSE qui déterminait à la majorité des délibérations les critères d’attribution permettant aux salariés de bénéficier des ASC.
La seule limite était de fixer les critères de façon objective et légitime sans aucune forme de discrimination liée au statut, à l’ethnie, à la religion et au sexe.
Les critères liés à l’ancienneté minimale étaient souvent pratiqués, généralement de six mois. C’est le cas par exemple de certains comités d’entreprise de la société Lidl France. Ce critère est d’ailleurs celui validé par l’administration.
Pendant très longtemps, les juridictions ont admis que l’ancienneté n’était pas un critère discriminant par le seul fait qu’il s’appliquait à tous les salariés. Depuis la décision du 3 Avril 2024 de la Cour de cassation (Cass. soc., 3 avril 2024, N 22-16 812), la haute juridiction tranche pour la première fois et énonce clairement que le CSE ne peut fixer, même dans le cadre d’un règlement intérieur, de notion d’ancienneté minimale pour qu’un salarié puisse bénéficier des activités sociales et culturelles.
Comment analysez-vous cette décision ?
Cette décision a un sens et une portée très particulière. Elle pourra dans certains cas amener certains CSE et employeurs à repenser leur modèle de fonctionnement pour trouver un véritable équilibre social. En effet, elle impliquera chaque salarié dans la vie de l’entreprise dès son premier jour mais pourra également être un levier pour réduire efficacement le « turn-over » dans certaines entreprises.
Dans les entreprises avec un taux élevé de « turn-over », la question de financement des activités sociales et culturelles peut susciter un débat dans les prochains jours. Allons-nous vers à la remise en question de certains accords d’entreprise ?
En cette période de forte inflation, dans certaines grosses entreprises, les nouveaux embauchés pourront largement bénéficier de cette décision de justice, qui pourrait s’analyser comme une évolution naturelle en lien avec la question actuelle du pouvoir d’achat.
En ce qui concerne les PME, il s’agit d’une vague de fond permettant l’apparition d’une nouvelle façon de formaliser les relations entre les employeurs et les salariés.
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