Inès Haeffner (Plein Sens) : « Le dialogue social peut être pensé comme une organisation du travail »
Par Agnès Redon | Le | Accords d’entreprise
2022 marque le premier renouvellement des CSE. Cette instance unique, mise en place par les Ordonnances Macron en 2017, centralise le dialogue social et dispose de prérogatives élargies.
Inès Haeffner, consultante senior au cabinet Plein Sens, spécialisé dans la question des relations du travail et des organisations, observe au cours de ses interventions auprès des CSE et des directions certains des impacts de ces évolutions.
A l’heure du renouvellement des CSE, quels sont les enjeux du dialogue social ?
Le dialogue social permet de faire le pont entre le business, le social et les besoins d’accompagnement RH, et ainsi répondre aux préoccupations des salariés
Le dialogue social est toujours sujet à de forts enjeux à partir du moment où l’on considère qu’il est utile à la régulation des collectifs de travail au sein de l’entreprise et à la recherche du compromis dans un souci de performance durable. Au sein de l’entreprise, le dialogue social s’incarne alors en préparation des instances :
- La préparation de la négociation d’accords ;
- Les projets qui vont faire l’objet d’une information/consultation auprès du CSE ;
- Les sujets qui doivent faire l’objet d’une formation des élus du personnel.
Anticiper les enjeux de dialogue social c’est donc aussi impliquer les élus dans les démarches en amont du cadre formel de l’information en CSE. C’est un travail de fond qui peut souvent paraître contraignant pour l’ensemble des parties. C’est dommage, car c’est dans ces espaces que le dialogue social peut devenir un levier de régulation, de compromis ou de performance.
A mon sens, le dialogue social permet de faire le pont entre le business, le social et les besoins d’accompagnement RH, et ainsi répondre aux préoccupations des salariés. C’est également un espace où l’on fait vivre un projet d’entreprise en prenant en compte l’intérêt des acteurs.
Cette instance qu’est le CSE peut donc être un lieu de travail et d’élaboration collective de solutions, et pas uniquement un lieu où l’information est transmise aux élus en raison du cadre légal.
Que constatez-vous dans les pratiques du dialogue social sur le terrain ?
Même si la mise en place des CSE a souvent été faite dans un souci de continuité, elle a changé plusieurs paramètres
Il nous est souvent demandé comment améliorer la qualité du dialogue social. En effet, le dialogue se tend dans les entreprises comme c’est le cas dans le reste de la société. Nous constatons de plus en plus de situations de conflits entre les salariés et la direction, et non seulement les partenaires sociaux.
Par ailleurs, même si la mise en place des CSE a souvent été faite dans un souci de continuité, elle a changé plusieurs paramètres. Les directions y ont certes vu l’opportunité de rationaliser son organisation, notamment par des débats sur les moyens attribués au CSE lors des négociations des accords CSE. Surtout, ce premier mandat a été indéniablement marqué par la nouveauté et la nécessité, pour les élus et les directions, d’appréhender de nouveaux modes de fonctionnement et de nouveaux champs d’action. Cela modifie notamment :
- L’articulation entre l’instance unique et les commissions ;
- Le périmètre des différentes commissions ;
- La répartition des missions en élus ;
- Le développement des compétences des élus et la gestion de leurs parcours professionnels (limite à trois mandats successifs) ;
- L’enjeu du maintien du lien de proximité avec le terrain, tout en étant actifs sur des sujets stratégiques.
Tous ces points sont particulièrement questionnés actuellement, au moment du renouvellement des CSE, pour tenter de dépasser les situations de tension.
Plus concrètement, quelles sont ces situations de tension ?
Le spectre des tensions existantes est très large. Cela peut-être :
- Une crise sociale, voir une grève avec l’arrêt de la production ou du service ;
- L’impossibilité de se parler dans des conditions normales ;
- Le recours à l’inspection du travail dans une logique de confrontation ;
- Une judiciarisation des échanges, avec une mise en contentieux systématique ;
- Mais plus généralement, le sentiment d’une confiance rompue et d’un retour en arrière.
Les Ordonnances Macron de 2017 ont-elles contribué à l’accroissement de ces tensions ?
Les principes de fonctionnement du dialogue social ne doivent pas chercher à correspondre à un « idéal type »
Les tensions sont plus visibles qu’avant les Ordonnances qui ont pu créer une certaine forme de déséquilibre. Les élus, et les directions, n’ont pas encore trouvé toutes leurs marques dans un CSE dont le fonctionnement n’est pas tout à fait stabilisé. Mais le contexte a également joué : la crise sanitaire a perturbé les fonctionnements, et désormais l’inflation remet la question du pouvoir d’achat sur la table. Améliorer la qualité du dialogue social prend du temps mais à court terme, il est possible de déployer certaines actions, en fonction de la situation de l’entreprise :
- Si nécessaire, veiller à limiter et éteindre les feux qui nourrissent le conflit
- Quand cela est possible, discuter de la façon dont on souhaite travailler ensemble, au-delà des sujets de dialogue social.
Mais il n’y a pas de modèle unique : les principes de fonctionnement du dialogue social ne doivent pas chercher à correspondre à un « idéal type », et il faut prendre en compte les spécificités de l’entreprise et son histoire.
On peut voir le dialogue social comme une organisation du travail à part entière dans l’entreprise. Il s’organise, se manage et se discute. Ce travail soulève des enjeux de long terme, en matière de conditions de travail des élus et mandatés notamment, pour (re)positionner le dialogue social comme un vecteur d’engagement et de mobilisation des collectifs.
Dans ce cadre, la prochaine mandature se prépare autour d’une une feuille de route claire, appuyée par un bilan partagé et objectif, dans lequel il faut :
- Observer et comprendre le travail réalisé au quotidien ;
- Identifier et répartir les tâches et rôles de chacun des acteurs ;
- Se mettre d’accord sur le fonctionnement collectif au sein du CSE et entre ses membres.
Observez-vous des difficultés spécifiques aux élus du personnel dans le renouvellement des CSE ?
Une question importante concerne la gestion des parcours professionnels des représentants du personnel
Ce sont davantage des difficultés inhérentes au statut des élus que spécifiquement liés au renouvellement mais il est l’occasion de les mettre sur la table.
Lorsqu’un élu éprouve des difficultés à parler de son mandat avec son manager, parce qu’il n’est pas toujours à son poste de travail, le manager peut avoir des craintes sur le cadre légal du mandat. Il persiste toujours la crainte que les collègues estiment que l’élu représentant du personnel ne travaille pas autant qu’eux. Or le temps effectué dans le cadre du mandat est bien du temps de travail.
Cela interroge la visibilité du travail que les élus réalisent et la communication aux salariés, au-delà de l’affichage de tracts.
L’autre difficulté observée est celle de l’adaptation de la charge de travail au poste de travail, afin de permettre à l’élu de prendre le temps de réaliser ses missions.
Une question importante concerne la gestion des parcours professionnels des représentants du personnel. En plus de leur travail et de leur mandat, ils doivent pouvoir se former et développer des compétences, pour leur poste ou pour leur mandat. Concernant les compétences acquises durant leur mandat, même si elles ne sont pas en rapport avec le travail, il est essentiel qu’elles puissent être valorisées.
Enfin, il est important d’analyser les moyens dont le CSE dispose, la répartition des tâches entre élus, les prises d’heures de délégation et comment les élus sont outillés dans le cadre de l’exercice de leur mandat. A l’heure du bilan du CSE, c’est un travail qui peut être conduit par les organisations syndicales si elles le souhaitent.
De façon générale, l’ensemble de ces sujets renvoient à l’attractivité du mandat et du renouvellement des CSE. Autrement, des personnes peuvent perdre en motivation pour s’engager dans un mandat. Les directions, en se saisissant de ces sujets, pourraient y trouver des leviers pour véritablement accroître la qualité du dialogue social.