Dialogue social

Transparence salariale : « Une opportunité pour l’égalité professionnelle » (Leslie Nicolaï, Factorhy)


« La transposition de la directive européenne sur la transparence des rémunérations représente une occasion cruciale de consolider et d’améliorer les acquis de l’index de l’égalité professionnelle », déclare Sophie Pochic, sociologue, directrice de recherche au CNRS, experte qualifiée au Haut conseil à l’égalité, lors d’un rendez-vous organisé par l’Ajis le 27/05/2025 sur le sujet des « inégalités salariales : une directive pour tout révolutionner ».

Transparence salariale : « Une opportunité pour l’égalité professionnelle » (Leslie Nicolaï, Factorhy)
Transparence salariale : « Une opportunité pour l’égalité professionnelle » (Leslie Nicolaï, Factorhy)

« L’Index de l’égalité professionnelle n’est pas un outil probant » (Leslie Nicolaï)

« L’index de l’égalité professionnelle a suscité des attentes élevées parmi ceux qui maîtrisent le sujet de l’égalité professionnelle. Cependant, il s’est révélé déceptif pour plusieurs raisons. Le critère principal, qui constitue 40 % de la note finale, repose sur les rémunérations moyennes par tranche d’âge et catégorie socioprofessionnelle. Ces écarts sont minorés de 5 %, ce qui diminue artificiellement les différences de rémunération observées. Cette méthode de calcul a pour effet de masquer les écarts réels, rendant l’index moins fiable », indique Lena Quer-Riclet.

  • « Un autre problème majeur est l’incapacité de nombreuses entreprises à calculer l’index, notamment dans les secteurs où le taux de féminisation est faible. Les découpages successifs par tranche de population aboutissent à des indicateurs incalculables, ce qui limite l’applicabilité de l’index. À l’origine, le seuil d’acceptabilité était fixé à 75 sur 100, ce qui signifiait que l’on se contentait de 75 % d’égalité professionnelle. Bien que ce seuil ait été relevé à 85, il reste des entreprises qui, malgré des scores élevés, ne prennent pas de mesures correctives pour atteindre une véritable égalité.
  • Malgré ces critiques, l’index a permis de mettre en lumière certaines pratiques, comme l’obligation d’augmentations au retour de congés maternité, une disposition légale souvent ignorée. Toutefois, certaines entreprises ont appris à manipuler les critères de l’index pour améliorer leur score sans apporter de réelles améliorations en matière d’égalité. »

Pour Sophie Pochic, « l’index a exigé un travail administratif considérable des services des ressources humaines, sous la menace de pénalités financières et d’inspections du travail. Le Gouvernement a communiqué positivement sur l’augmentation de la note moyenne, mais l’écart de rémunération moyen au niveau national reste élevé. Les principaux facteurs d’écart, comme le temps partiel imposé et la sous-valorisation des emplois féminisés, ne sont pas intégrés dans l’index.

  • En outre, l’index, par sa complexité, a été difficile à interpréter, notamment pour les PME. Il a eu des effets positifs, comme le rappel du droit à la non-discrimination envers les mères, mais aussi des effets négatifs. Il a parfois été utilisé comme un outil de pilotage de performances RH, masquant les revendications salariales et ralentissant la négociation collective. »

Pour Leslie Nicolaï, « l’index n’est pas un outil probant pour l’égalité professionnelle. J’ai eu des échanges avec des entreprises où des groupes qualifiés ont été disqualifiés par manque de personnel, ce qui a artificiellement amélioré leur score à l’index sans réelle action en faveur de l’égalité.

  • En jurisprudence, plusieurs employeurs avec des notes supérieures à 90 ont été condamnés pour non-respect de l’égalité professionnelle. Cela démontre qu’une bonne note à l’index ne signifie pas automatiquement qu’un employeur respecte ce principe. Nous espérons que la transposition de la directive européenne apportera des changements en révisant les méthodes de calcul et en introduisant de nouveaux indicateurs plus transparents. »

« La directive européenne sur la transparence des rémunérations offre un double levier d’action pour les salariés et leurs représentants » (Lena Quer-Riclet)

« La directive introduit des nouveautés, comme le droit à l’information des candidats avant l’embauche, inexistant en droit français. En Belgique, une transposition récente impose la publication de la rémunération ou d’une fourchette dans les offres d’emploi, et interdit de demander l’historique salarial des candidats. Cela pourrait corriger les inégalités persistantes. La directive propose aussi de comparer les salaires à une personne de référence, réelle ou hypothétique, ce qui est une approche disruptive par rapport au droit français actuel », déclare Leslie Nicolaï.

Pour Sophie Pochic, « cette directive ambitieuse s’inspire de bonnes pratiques européennes, promouvant la transparence salariale pour améliorer la négociation individuelle et collective. Cependant, son efficacité dépendra de son opérationnalisation en France, notamment pour les PME. Le droit à l’information individuelle, déjà en place en Allemagne, pourrait être un levier pour les individus, mais son impact sera limité dans les secteurs à bas salaires. »

« La directive offre un double levier d’action pour les salariés et leurs représentants, renforçant la légitimité des syndicats sur ces questions. Elle permet de manipuler des données qualitatives, ce qui pourrait transformer la politique sociale et la rémunération dans les entreprises. Une évaluation conjointe avec les représentants du personnel pourrait aussi être un outil puissant pour comprendre et corriger les écarts de rémunération », indique Lena Quer-Riclet.


Enjeux de la transposition : « Une occasion cruciale de consolider et d’améliorer les acquis de l’index de l’égalité professionnelle » (Sophie Pochic)

Pour Sophie Pochic : « la transposition de la directive européenne sur la transparence des rémunérations représente une occasion cruciale de consolider et d’améliorer les acquis de l’index de l’égalité professionnelle. Il est essentiel de ne pas perdre les indicateurs dynamiques, comme ceux liés aux augmentations après un congé maternité, qui ont permis de mettre en lumière certaines pratiques discriminatoires. L’un des enjeux majeurs de cette transposition est l’opérationnalisation de l’obligation d’évaluation conjointe des écarts de rémunération. Chaque écart injustifié doit être identifié et corrigé, ce qui nécessite des mécanismes clairs et efficaces.

  • Des recommandations du HCE préconisent d’automatiser le calcul des écarts de rémunération à partir des données sociales nominatives que les entreprises fournissent déjà à l’administration. Cela permettrait de réduire la charge administrative sur les entreprises tout en augmentant la confiance des représentants du personnel dans la véracité des chiffres fournis. Cette automatisation pourrait également résoudre le problème de l’incalculabilité pour les petites et moyennes entreprises, qui souvent peinent à rassembler les données nécessaires. »

« L’outil que représente cette directive vise à traiter la problématique des différences de rémunération à travail de valeur égale. Cependant, il est tout aussi crucial d’aborder les inégalités de situation, qui contribuent également aux écarts de rémunération. Par exemple, le temps partiel imposé ou la sous-valorisation des métiers féminisés sont des facteurs qui doivent être pris en compte dans les discussions sur l’égalité professionnelle », déclare Lena Quer-Riclet.

  • « Il existe une expertise habilitée pour préparer la négociation sur l’égalité professionnelle, accessible aux entreprises de plus de 300 salariés. Malheureusement, ce dispositif est peu sollicité, alors qu’il pourrait offrir des outils précieux pour identifier et corriger les causes profondes des inégalités. Cette expertise permettrait d’utiliser des méthodes d’observation du travail réel, telles que des questionnaires et des entretiens individuels, pour mettre en lumière les causes racines des inégalités. »

Pour Leslie Nicolaï, « il est essentiel de voir la transposition de cette directive comme une opportunité d’atteindre enfin une véritable égalité professionnelle. Cela implique de repenser en profondeur les politiques de rémunération et la classification des emplois. Cependant, les entreprises ne partent pas de zéro. Il existe déjà des exemples étrangers, comme ceux du Québec ou de la Suède, qui ont mis en place des lois ambitieuses sur l’équité salariale et qui peuvent servir de référence.

  • En France, nous disposons également d’une jurisprudence riche qui peut guider les entreprises dans cette démarche. Le défi consiste à transformer cette opportunité en actions concrètes, en intégrant les nouvelles exigences de transparence et d’évaluation conjointe dans les pratiques quotidiennes des entreprises. Cela nécessite une volonté politique forte et un engagement de toutes les parties prenantes pour que cette transposition ne soit pas seulement une formalité, mais un véritable levier de changement. »