Dialogue social

Emmanuel Farah (CFTC) : « En agissant collectivement, on peut faire bouger les choses »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Délégué syndical CFTC depuis 2005, Emmanuel Farah revient sur son parcours syndical. Attaché aux valeurs humanistes, il s’inquiète pour l’avenir du syndicalisme menacé par l’individualisme et les dernières évolutions législatives qui fragilisent les élus de CSE.

Emmanuel Farah (CFTC)  - © D.R.
Emmanuel Farah (CFTC) - © D.R.

Quel est votre parcours ?

  • En 2005, je suis devenu délégué syndical. J’ai réalisé que ce mandat avait un réel pouvoir sur la vie des salariés de l’entreprise ;
  • En 2006, je suis devenu délégué du personnel;
  • Entre 2015 et 2019, j’ai occupé le mandat de secrétaire adjoint national du SICSTI-CFTC. Je trouvais cette expérience particulièrement enrichissante. J’avais une vision globale de tout ce que fait un syndicat. Cela m’a également donné la chance d’étoffer mon carnet d’adresses et mes connaissances, de rencontrer des experts sur l’ensemble des sujets.
  • De 2015 à 2021, j’ai pris le poste de conseiller du salarié. En effet, dans chaque Union Départementale, les syndicats proposent une liste de conseillers du salarié. Toute personne en procédure de licenciement peut ainsi se faire accompagner. 

Depuis 2009, je suis élu au CE de Sagem Monetel puis au CE et CSE d’Ingenico

Comment est née votre fibre syndicale ?

Lorsque je suis devenu délégué syndical en 2005, j’ai réalisé que ce mandat avait un réel pouvoir sur la vie des salariés de l’entreprise et c’est ce qui a motivé mon engagement. De plus, ce qui se négociait dans mon entreprise ne me convenait pas, notamment sur les salaires ou le temps de travail. 

Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CFTC ?

Au-delà de mon envie d’agir pour les salariés, mon père était militant à la CFTC. C’est ce qui m’a rapproché de cette organisation syndicale. Par ailleurs, avec l’humain et l’amélioration des conditions de travail au centre de tout, ces valeurs de bienveillance et d’accompagnement me correspondent. Surtout dans un contexte où les salariés sont de plus en plus en souffrance au travail.

Quel est le moment marquant de votre parcours ?

Cette expérience m’a beaucoup appris sur le rapport de force avec la direction.

En 2008, l’intégration de Sagem Monetel au sein du groupe Ingénico, leader mondial des terminaux de paiements, a conduit à notre mobilisation.

  • Dans le cadre de cette opération, le repreneur devait négocier un accord d’intégration afin d’harmoniser les statuts des salariés. A défaut, la convention collective nationale du Syntec devait s’appliquer aux 150 ex-salariés de Sagem Monetel qui étaient auparavant rattachés à celle de la métallurgie. Cela supposait qu’ils perdent des avantages importants tels que l’indemnité de licenciement et la prime d’ancienneté pour les non-cadres.
    • Dans ce contexte, j’ai pu négocier tout au long du processus de fusion, qui a duré 15 mois, les conditions dans lesquelles nous allions rejoindre le groupe Ingénico.
    • Ce fut un travail intense : la direction ne voulait rien nous donner, nous n’étions pas écoutés et cela a fini par un mouvement de grève, au terme duquel nous avons obtenu tout ce que nous demandions. Cette expérience m’a beaucoup appris sur le fonctionnement des ressources humaines et sur le rapport de force avec la direction.

Quels sont vos sujets actuels de revendication ?

  • Le télétravail. Comme il s’agit de nouvelles conditions de travail, nous avons fait un sondage auprès des salariés. Il s’avère que 83 % d’entre eux souhaitaient un maximum de télétravail. Ainsi, grâce à un accord récent, nous leur avons obtenu quatre jours de télétravail par semaine voire cinq jours si le manager l’autorise. Les salariés sont ravis de cet accord et c’est même un argument d’embauche des nouveaux talents, dont le télétravail est l’une des premières préoccupations.
  • L’intéressement. Cet accord que nous avions depuis 15 ans était très généreux chez nous et distribuait 10 000 euros à tous les salariés. Cela nous permettait également d’attirer et fidéliser les salariés. En revanche, pour la première fois cette année, cet accord d’intéressement n’a pas recueilli assez de signatures et nous l’avons perdu, FO et la CGT l’estimant insuffisant. Cela nous oblige à négocier avec la direction sur d’autres formes de rémunération.
  • L’accord relatif à l’égalité professionnelle. Il doit être renouvelé d’ici fin 2023. C’est un accord ambitieux d’une cinquantaine de pages que nous avons longuement travaillé mais nous manquions d’indicateurs ou de données existantes.
    Nous devons améliorer certains points comme le recrutement des femmes et leur évolution professionnelle, malgré la formation des managers et des RH. La négociation de cet accord va ainsi représenter un véritable défi, car les enjeux sont très importants.

De quelle manière menez-vous des négociations ?

Il ne faut pas être dogmatique mais jouer collectif.

Tout d’abord, il est essentiel de construire des revendications claires avant chaque négociation. Ensuite, il faut avoir dans son équipe des personnes spécialisées sur les sujets à traiter. En effet, les élus ont déjà leur charge de travail au quotidien et pour gagner du temps, les sujets doivent être bien répartis.

La suite des négociations dépend de :

  • La position de la direction ;
  • Ce que défendent les autres syndicats. En effet, l’unité syndicale est importante ;
  • La teneur des revendications, qui doivent être crédibles. L’objectif est de montrer à la direction que nous sommes professionnels à la fois dans notre travail mais également dans la négociation. C’est pourquoi il ne faut pas être dogmatique. Il vaut mieux jouer collectif pour apporter des améliorations aux salariés.

Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?

Nous rendons service aux salariés et nous sommes sans cesse confrontés aux problèmes. Et ce, sans vraiment recevoir de remerciements ou de gratitude. L’engagement syndical peut être vécu comme un sacerdoce. Il faut en avoir conscience et surtout avoir cet engagement chevillé au corps. 

Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?

Une flexibilité accrue change le rapport au travail. 

La hausse des adhésions aux organisations syndicales doit être soulignée. En raison de l’individualisation de notre société, il reste cependant difficile de susciter l’adhésion des personnes jeunes. Ce phénomène se voit plus généralement dans un manque d’engagement collectif.

Par ailleurs, une flexibilité accrue détache les salariés de l’entreprise, ce qui change le rapport au travail. 

Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte de l’émergence de collectifs non syndiqués ?

Plus que jamais, nous avons besoin du syndicalisme.

L’union fait la force. Malgré la société individualiste, cet adage est encore d’actualité, comme nous l’avons vu lors de la mobilisation contre la réforme des retraites.

Pour moi, tous les collectifs sont une bonne chose. Ce n’en qu’en agissant collectivement qu’on peut faire bouger les choses.

Compte tenu des récentes loi Travail, des ordonnances Macron et toutes ces lois pensées et écrites par le Medef, nous avons besoin du syndicalisme plus que jamais.