Dialogue social

Gabriel Artero (CFE-CGC) : « Les mandats se professionnalisent et se complexifient constamment »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Depuis janvier 2006, Gabriel Artero est président de la Métallurgie CFE-CGC, première fédération constitutive de la Confédération CFE-CGC en nombre d’adhérents avec plus de 36.000 adhérents, soit près d’un quart des effectifs de la CFE-CGC. Elle regroupe les militants des industries et filières de l’aéronautique, automobile, navale, NTIC, semi-conducteurs, mécanique, services à l’industrie et sidérurgie.

Gabriel Artero a exercé successivement différents mandats syndicaux au sein de son entreprise, de délégué du personnel dès 1992 jusqu’à président de fédération à ce jour.
Pour CSE Matin, il revient sur son parcours de 40 années de militantisme et sur les évolutions de l’exercice du syndicalisme.

Gabriel Artero président de la métallurgie CFE-CGC - © Didier Raux
Gabriel Artero président de la métallurgie CFE-CGC - © Didier Raux

Comment a débuté votre parcours d’élu et de syndicaliste ?

J’ai découvert le monde de l’entreprise, à travers la filière aéronautique, sur le site Aérospatiale Marignane division hélicoptères. J’ai fait toute ma carrière dans ce secteur et ce groupe, devenu depuis quelques années Airbus.

Peu de temps après mon intégration dans cet établissement, je suis devenu délégué du personnel en 1982. Ce sont mes convictions familiales et personnelles qui m’ont amené à m’investir dans une action collective. La présence syndicale dans cet établissement était déjà très forte et incitait les nouveaux embauchés à adhérer à une organisation et le cas échéant à s’investir. J’ai très rapidement été approché par la CFE-CGC, qui m’a proposé une présence sur les listes syndicales. Ma position sur la liste n’était pas forcément éligible. Ce fut pourtant le cas dès cette première élection. J’ai peu à peu découvert les rouages hiérarchiques du monde du travail et de l’entreprise.

Quel a été votre regard sur ces relations sociales au démarrage de votre parcours ?

Ainsi, j’ai pris goût aux relations sociales, formelles comme informelles et aux enjeux économiques et sociaux liés à l’entreprise. On ne représente probablement pas les autres par hasard et cette fibre sociale a vibré plus fortement qu’une autre. Je suis donc devenu représentant syndical au CE, CCE et, peu à peu, j’ai été repéré par mon organisation au niveau de mon groupe comme un interlocuteur reconnu. Paré de mon franc-parler, de mes convictions et des revendications à faire valoir, j’ai pu intégrer les équipes de négociations au niveau du siège parisien de la société.

C’est à ce moment que j’ai pu bénéficier de formations syndicales, ce qui est absolument essentiel dans un parcours militant.

A la fin des années 80, la section d’établissement à laquelle j’appartenais (plus de 700 adhérents) était une des plus importantes de toute l’organisation. Le responsable CFE-CGC de cette section terminait sa carrière et m’a tout naturellement proposé de prendre sa suite et cette responsabilité. Déjà à l’époque, cela représentait un temps plein syndical. Je n’imaginais pas encore dans quoi je m’engageais réellement.

la fibre sociale, l’envie de découvrir, d’apprendre continuellement (…) ont forgé mon engagement syndical.

En 1992, lorsque l’entreprise s’est transformée pour devenir Eurocopter, société franco-allemande fusion des divisions hélicoptères de l’entreprise française Aérospatiale et de l’entreprise allemande Deutsche Aerospace (DASA), j’ai découvert une autre dimension de l’engagement social, à travers la constitution d’un comité européen et des nécessaires relations sociales franco-allemandes notamment avec le syndicat IGMetall. Dans la foulée, j’accède au mandat de DSC pour tout le groupe Aérospatiale. C’est à la fois la fibre sociale, l’envie de découvrir, d’apprendre continuellement dans de nouveaux horizons qui ont forgé mon engagement syndical.

Quel est le souvenir le plus marquant dans l’exercice de votre mandat ?

J’ai exercé mon activité professionnelle en parallèle de mon mandat syndical jusqu’en 1986. A cette date, je fais valoir un congé individuel de formation de 10 mois pour obtenir un diplôme de perfectionnement à l’administration des entreprises à l’IAE de Puyricard près d’Aix-en-Provence. A mon retour de formation, je reprends mon activité professionnelle ainsi que mon mandat d’élu du personnel.

Mais c’est une période difficile pour l’activité industrielle de mon établissement qui m’a beaucoup marqué. En effet, j’ai eu à vivre en tant qu’élu des licenciements secs, c’est-à-dire sans négociation préalable. Il faut imaginer des salariés quitter l’entreprise le même jour, à la même heure, dans tous les services, sans pouvoir revenir dans l’établissement ou pourtant certains travaillaient depuis de très nombreuses années. Cet acte, ressenti par tous avec violence, a pu me faire douter de notre réelle capacité à influer sur le cours des choses. Pourtant, fort de cette expérience et encore plus déterminé, j’y suis retourné en me disant  « plus jamais cela ».

Comment analysez-vous l'évolution des mandats d'élu du personnel ?

En 40 ans, j’ai constaté que les mandats syndicaux se professionnalisent fortement et doivent constamment s’adapter. Pour prendre le dernier exemple, l’enchaînement des lois Rebsamen, El Khomri, puis les ordonnances Macron de 2017 ont considérablement modifié le droit du travail. Imaginons ce travail d’appropriation de cette matière complexe pour des personnes qui ne disposent que de 30 heures de délégation par mois.

Face à des juristes ou des experts en ressources humaines, dont c’est la formation de base et le métier, il faut faire preuve de beaucoup de volonté et d’énergie pour garder la maîtrise des sujets dont on parle.  

Heureusement, en ce qui me concerne, j’ai pu depuis de nombreuses années, bénéficier d’un détachement à temps plein, pourvu  dans le cadre d’un accord sur l’exercice du droit syndical, ce dont bénéficient toutes les organisations du groupe. Cette disponibilité m’a permis de me former, d’approfondir et recycler mes connaissances en matière de droit du travail, en continu.

Quelles sont les négociations actuelles de votre fédération ?

Depuis 5 ans, les organisations syndicales représentatives de la branche partagent des négociations au long cours pour la refonte de notre dispositif conventionnel.

L’objectif recherché est d’aller vers une convention nationale unique de la Métallurgie attractive, là où aujourd’hui nous avons 76 conventions territoriales, 1 convention ingénieurs et cadres et 1 convention nationale sidérurgie pour les non-cadres, soit quelques milliers de pages de normes qui seront redéfinis et ré-agencées en un seul accord de plus de 300 pages. Telle est notre ambition.

Pour ce faire, il a été nécessaire de passer par un accord de méthode signé en juillet 2016 qui définissait les grands thèmes à traiter. Nous arrivons au bout de ce process et sommes en train de finir celui de la protection sociale de branche (santé et gros risque) avec la mise en place d’un régime de branche, en particulier sur les gros risques  (incapacité invalidité décès).

Ainsi, depuis 2016, nous avons traité et mis en réserve les thèmes comme la classification, le temps de travail, la santé et sécurité au travail, les relations individuelles de travail, l’emploi-formation, la protection sociale, la rémunération, le dialogue social en entreprise.

Quelles sont les prochaines étapes de ce chantier de refonte du dispositif conventionnel de la métallurgie ?

Du 29 novembre jusqu’au 3 décembre 2021, nous engageons une semaine complète de négociations afin de boucler ce chantier hors-norme. A l’issue, à partir du 1er janvier 2022, les entreprises auront 24 mois pour déployer l’ensemble des éléments contenus dans cette nouvelle convention unique de branche.

Le thème de la protection sociale de branche sera déployé, quant à lui, dès janvier 2023.

Il y a donc un compte à rebours (1er janvier 2022-1er janvier 2024) qui va se mettre en marche, ce qui constitue un délai contraint pour toutes les entreprises de la branche, car je rappelle enfin qu’au titre des ordonnances 2017 bloc 1, un certain nombre de sujets comme les classifications, les salaires minimaux hiérarchiques, la protection sociale sont d’ordre impératif et que les employeurs ne pourront y déroger.

D’autres sont d’ordre supplétif, comme le temps de travail, laissant la liberté aux entreprises de revoir leurs propres accords ou d’en négocier de nouveaux. A défaut, c’est le socle de branche qui s’appliquera.

Refonte du dispositif conventionnel de la métallurgie : un niveau d’intensité dans la négociation que je n’avais pas connu dans la branche depuis les lois Aubry

C’est d’un niveau d’intensité dans la négociation que je n’avais pas connu dans la branche depuis les lois Aubry 1 et 2 (1998/2000).

Ce seront des années intenses de négociations dans les entreprises. C’est pour cela que nous formons et préparons dès à présent plus de 2.220 délégués syndicaux et 300 coordinateurs de groupe à la compréhension et au déploiement de cette matière dans leur entreprise.

L’ensemble de ces thèmes structureront l’environnement social des entreprises et filières relevant de notre branche pour plusieurs décennies.

Quels conseils donneriez-vous aux élus pour mener à bien les négociations ?

Deux choses sont essentielles. La première est de se former, la deuxième de se souvenir que l’on appartient à une équipe, une famille et qu’il ne faut pas s’isoler. Les ordonnances de 2017 ont eu pour effet de réduire le nombre de nombre de militants dans les entreprises. Un mandat de CSE n’est pas un mandat de CE.

Moins de militants oblige à embrasser plus de sujets ce qui, de facto, amène les militants à se professionnaliser de plus en plus. C’est particulièrement le cas dans des grands groupes.

Ensuite le dialogue social se construit, pour moi, autour de 3 piliers de base et ce quel que soit le niveau où l’on se situe : l’établissement, le groupe, la branche, et même l’interpro.

  • Le premier c’est la confiance, notamment avec nos interlocuteurs que sont les services RH. Cette confiance ne se décrète pas, elle se construit patiemment et passe souvent par des relations interpersonnelles ;
  • Le deuxième touche aux diagnostics partagés. Pour ce faire, il faut pouvoir les poser, ce qui implique un minimum de transparence, laquelle découle du rapport de confiance ;
  • Enfin le dernier pilier est l’intérêt à agir des parties.

J’indique souvent aux DRH que nous sommes les amplificateurs de bruits faibles

Une fois les diagnostics partagés, il devient plus facile de trouver les voies et moyens visant à résoudre les problèmes auxquels l’entreprise est confrontée. J’indique souvent aux DRH que nous sommes les amplificateurs de bruits faibles, qu’eux-mêmes peinent à capter dans leur système. Ensemble nous pouvons leur donner sens et ainsi redonner du corps à la négociation sociale.

Je suis partisan d’un dialogue social rugueux mais qui dit les choses, pose les problèmes sur la table afin qu’ensemble nous puissions trouver cet intérêt à agir. Un accord est un bon accord non pas parce que nous l’aurions simplement signé mais bien parce que nous allons le porter ensemble dans la durée. Il n’y a pas de bon ou mauvais accord, il n’y a que ceux que l’on a signés  et ceux que l’on n’a pas signés. Je considère que la CFE-CGC, du moins dans ma fédération, est probablement l’organisation la plus homogène de la branche. L’histoire de la CFE-CGC n’a pas été traversée par des scissions, pas plus qu’elle ne l’est par des courants idéologiques. Nous vivons le monde de l’entreprise de la même manière, que nous soyons dans telle ou telle filière,  du nord au sud, ou d’est en ouest de la France.  

Accompagner la transformation industrielle et sociale des entreprises, dans lesquelles nous vivons est une priorité. Digitalisation et décarbonation des filières sont deux enjeux vitaux pour l’avenir de notre industrie. En ce sens, nos militants doivent constamment s’adapter à l’ensemble de ces mutations.

Notre organisation, avec une empreinte à la fois territoriale et nationale,  nous permet de supporter et d’accompagner toutes nos équipes militantes. La subsidiarité est un principe de gouvernance de notre fédération, véritable centre de services et de moyens à l’usage de ses parties constituantes.

La CFE-CGC ne cesse de progresser dans les élections des instances représentatives du personnel. C’est une grande fierté pour notre fédération et un formidable levier de motivation pour l’ensemble des militantes et militants qui en sont à l’origine.