Dialogue social

Orange : « La réorganisation ne facilitera pas le dialogue social » (Olivier Berducou, CFDT)


« L’un des objectifs du projet d’organisation d’Orange France est de gagner en efficacité opérationnelle, en lisibilité et en facilité pour accomplir le travail, car aujourd’hui les nombreuses strates chez Orange compliquent parfois les choses. Cet objectif est légitime et peut être soutenu par notre organisation syndicale. Ce qui peut cependant poser problème, c’est si nous arrivons à une organisation où tout est centralisé à Paris, dans des grandes directions, isolées comme des tours d’ivoire, où les décisions sont prises à distance de la réalité du travail quotidien des salariés. Cette crainte n’est pas levée, même si on nous assure qu’il y aura du management localement avec neuf directions Orange démultipliées », déclare Olivier Berducou, délégué syndical central CFDT chez Orange le 18/09/2025.

Il s’exprime au sujet du projet d’évolution de l’organisation d’Orange France, nommé « Regain » et présenté en CSEC le 16/09/2025. Ce projet vise à renforcer l’efficacité opérationnelle, la proximité terrain, la simplification des fonctionnements et le raccourcissement des circuits décisionnels. Sur les près de 47 000 salariés actifs en France, 20 356 sont concernés par la réorganisation.

Orange : « La réorganisation ne facilitera pas le dialogue social » (Olivier Berducou, CFDT)
Orange : « La réorganisation ne facilitera pas le dialogue social » (Olivier Berducou, CFDT)

Comment s’est passée la réunion du CSEC du 16/09/2025 ?

La réunion s’est déroulée de manière plutôt apaisée. Bien qu’il y ait des inquiétudes, le dialogue social chez Orange reste relativement calme.

Il est difficile de gagner de nouveaux droits en raison des freins à l’ouverture de nouvelles négociations

Nous sommes dans une entreprise qui a beaucoup d’accords, de beaux accords, mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui, il est difficile de gagner de nouveaux droits en raison des freins à l’ouverture de nouvelles négociations. Même dans la reconduite d’accords, il est complexe de gagner des avancées. Cela se résume souvent à un simple copier-coller du précédent accord.

La situation est plus difficile aujourd’hui qu’elle ne l’a été par le passé, et la réorganisation ne facilitera pas le dialogue social, notamment en matière de proximité, car plusieurs éléments nous laissent penser qu’il se déroulera essentiellement au niveau national. Cela est préjudiciable dans une entreprise de plus de 40 000 salariés. Nous avons besoin d’un dialogue social en lien avec la réalité de chaque territoire, en lien avec la manière dont nous travaillons localement, et non de simples règles nationales imposées depuis Paris, souvent déconnectées de la réalité des travailleurs.

Combien de salariés sont-ils concernés par cette réorganisation ?

Sur les près de 47 000 salariés actifs en France, 20 356 sont concernés par la réorganisation. Globalement, cela touche principalement les directions, ce que nous appelons aujourd’hui les directions Orange, notamment les activités de vente, le grand public, l’avant-vente, l’après-vente, ainsi que toutes les activités de réseau, d’entretien, de maintenance et de déploiement.

Quel est votre ressenti sur l’impact potentiel de la réorganisation « Regain » sur le climat social au sein d’Orange ?

Concernant le climat social, c’est assez compliqué à appréhender. L’un des objectifs de ce projet est de gagner en efficacité opérationnelle, en lisibilité et en facilité pour accomplir le travail, car aujourd’hui, de nombreuses strates chez Orange compliquent parfois les choses. Cet objectif est légitime et peut être soutenu par notre organisation syndicale.

Orange souhaite supprimer ses cinq grandes directions régionales actuelles à Paris, Lyon, Toulouse, Lille et Rennes

Cependant, ce qui peut poser problème, c’est si nous arrivons à une organisation où tout est centralisé à Paris, dans des grandes directions, isolées comme des tours d’ivoire, où les décisions sont prises à distance de la réalité du travail quotidien des salariés. Cette crainte n’est pas levée, même si l’on nous assure qu’il y aura du management localement avec des directions Orange démultipliées en neuf.

Orange souhaite en effet supprimer ses cinq grandes directions régionales actuelles à Paris, Lyon, Toulouse, Lille et Rennes, qui bénéficient jusqu’à présent d’une grande autonomie de décision, pour les remplacer par neuf nouvelles directions plus petites. In fine, nous ne sommes pas certains que la capacité managériale et décisionnelle soit réellement locale dans ces neuf directions. Nous avons plutôt le sentiment que ce sont les directions métiers d’Orange qui auront la main sur les décisions. Cette gouvernance et ces réponses, nous ne les avons pas. La gouvernance entre les territoires et le national semble s’orienter vers une centralisation.

Ces réalités territoriales risquent d’être oubliées dans les décisions prises au niveau national

Nous sommes préoccupés par une organisation qui centralise beaucoup de choses. Certes, il y a une volonté de réduire les effectifs, mais nous sommes encore 47 000, et la centralisation dans une entreprise de cette taille nous paraît dangereuse en matière de conditions de travail et de compréhension des réalités locales. À Paris, nous avons les transports en commun, mais en province, parfois, la fermeture d’un site signifie trois quarts d’heure de voiture pour rejoindre un autre site, avec des bouchons quotidiens à Toulouse ou Marseille à 8h30, et il n’y a pas de bus ni de métro.

Ces réalités territoriales risquent d’être oubliées dans les décisions prises au niveau national. Les salariés s’inquiètent de ne pas être en phase avec la réalité quotidienne des territoires. Ils craignent également une homogénéisation excessive du travail, voire une déshumanisation, d’autant plus que d’autres projets de réorganisation se dessinent, notamment l’introduction d’un outil d’intelligence artificielle pour le suivi des unités de service client.

Cette déshumanisation, combinée à une centralisation éloignée des réalités locales, est une peur très présente. Les salariés, surtout les plus anciens, s’inquiètent que l’entreprise ne soit plus celle qu’ils connaissaient et souhaitent. En tant qu’organisation syndicale, nous luttons avec nos moyens, mais l’intelligence artificielle est inévitable. Il est difficile de défendre au mieux l’emploi et la qualité du travail, ainsi que la reconnaissance des spécificités territoriales.

Quels mécanismes de suivi ou de soutien proposez-vous pour les salariés qui devront changer de manager, d’équipe ou voir leur activité évoluer, afin de minimiser les perturbations de la transition ?

Pour le suivi, il y a une catégorie de salariés plus à risque, ceux qui perdent leur poste. Environ 220 salariés sont concernés, et nous insistons pour qu’il y ait un suivi individualisé. L’entreprise a déjà annoncé certaines mesures, notamment avec un cabinet de conseil, mais il n’est pas certain que ces personnes se retrouvent dans les propositions qui leur seront faites en matière de compétences et de qualité de travail. Nous nous concentrons d’abord sur ces salariés.

Ensuite, il y a ceux qui subissent des changements de périmètre organisationnel ou de responsabilité. La question est de savoir si ces salariés accepteront ces changements et comment nous pouvons les accompagner dans la prise en compte de ces modifications. L’entreprise a assuré qu’il n’y aurait pas de déplacement géographique ni de modification de salaire, mais la perte de responsabilité peut rendre le travail moins motivant au quotidien. Cette perte de motivation pourrait affecter l’ambiance générale. Nous demandons à l’entreprise de suivre ces accompagnements au maximum et de prendre en compte les cas individuels complexes.

Ce temps n’est pas forcément disponible, car les effectifs RH de proximité ont diminué ces dernières années chez Orange

Certains salariés pourraient préférer un périmètre plus grand et un déplacement géographique, mais l’entreprise répond de manière uniforme. Nous insistons sur la nécessité de rencontres individualisées pour prendre en compte les attentes des salariés dans cette transformation. C’est difficile avec 20 000 personnes concernées, mais il faut prendre le temps. Ce temps n’est pas forcément disponible, car les effectifs RH de proximité ont diminué ces dernières années chez Orange. Si le temps d’écoute repose sur eux, cela pourrait engendrer de la souffrance au travail du côté RH, car l’accompagnement à réaliser est colossal.

Concernant vos craintes de centralisation, quelles garanties espérez-vous obtenir de la direction pour préserver l’autonomie locale ?

Nous espérons obtenir des garanties sur la gestion des budgets. Si tous les budgets, y compris ceux liés à l’évolution des compétences et à la formation, sont centralisés au niveau national, le local ne sera là que pour faire bonne figure.

Nous craignons que les CSSCT, qui suivent les conditions de travail et la qualité de vie au travail, soient centralisées au niveau national

Nous voulons savoir où seront effectivement les centres de décision budgétaire.

Par ailleurs, nous souhaitons des garanties sur le dialogue social. Nous craignons que les CSSCT, qui suivent les conditions de travail et la qualité de vie au travail, soient centralisées au niveau national. Cela nous éloignerait du suivi réel des conditions de travail et nous plongerait dans la théorie. Nous risquons de rencontrer de grandes difficultés en matière de suivi de la transformation, des déménagements ou des projets immobiliers, car la distance entrave le suivi des conditions de travail. Nous insistons sur la nécessité de maintenir le dialogue social et la gestion budgétaire à proximité des salariés.

Quelles sont vos revendications principales à ce stade de la négociation ?

Notre première revendication est de relâcher le calendrier, car l’entreprise souhaite un rendu d’avis sur ce dossier en décembre 2025, ce qui est trop court pour répondre à toutes les interrogations et apporter une plus-value. Le rôle de l’organisation syndicale n’est pas seulement de s’opposer, mais d’amener des propositions constructives et de corriger les défauts du projet. Nous ne pouvons pas le faire dans un temps aussi court, surtout avec une expertise à demander. Nous demandons donc un relâchement du calendrier d’au moins deux mois, pour un rendu d’avis en février 2025, afin de mieux protéger les salariés grâce à nos propositions.

Cet accord est toujours valide et nous irons probablement jusqu’au tribunal pour le faire appliquer

Nous demandons également l’application d’un accord existant de 2010, qui permet de demander une négociation en cas de modifications substantielles du contrat de travail, notamment en matière de mobilité à l’initiative de l’entreprise. Cette négociation permettrait d’accompagner au mieux les salariés, avec un suivi individualisé et des formations. L’entreprise n’aurait pas grand-chose à faire pour le formaliser, mais elle refuse actuellement cette négociation.

Cet accord est toujours valide et nous irons probablement jusqu’au tribunal pour le faire appliquer. Pour nous, il est indispensable de négocier pour les salariés et de gagner des droits. Si nous sommes constamment refusés, cela affaiblira la démocratie sociale et même la démocratie tout court. Certains partis extrémistes, notamment d’extrême droite, ne veulent plus de ces corps intermédiaires qui négocient et proposent. Nous insistons sur la nécessité de négocier, même si ce que l’entreprise propose est déjà structuré. Nous voulons le formaliser dans un accord pour l’engager véritablement. Si l’entreprise refuse de s’engager, cela serait terrible. Nous avons besoin de ces deux revendications fortes pour garantir l’effectivité des suivis individuels et des mobilités.

Nous analyserons également le document de 450 pages envoyé aux élus de l’instance CSEC d’Orange pour préparer la séance du 16/09/2025. De nombreux militants ont travaillé dessus, et beaucoup d’informations nous sont remontées au niveau central. Nous avons mis en place une adresse e-mail dédiée pour que les salariés puissent nous interroger, et nous avons déjà reçu de nombreuses demandes. Il faudra du temps pour traiter tout cela.