Dialogue social

Réinventer les liens sociaux avec le travail hybride : quelles pistes ? (Réalités du dialogue social)

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Avec l’éclatement des lieux et collectifs de travail à distance, les partenaires sociaux doivent s’emparer de nouveaux objets de dialogue pour maintenir le lien social et redéfinir les pratiques managériales. L’Association Réalités du dialogue social à l’ESSEC IRENÉ (Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation) s’est interrogée sur les modalités dans l’organisation du travail hybride lors d’une conférence organisée le 14 novembre 2022.

Réinventer les liens sociaux dans une organisation de travail hybride (Réalités du dialogue social) - © D.R.
Réinventer les liens sociaux dans une organisation de travail hybride (Réalités du dialogue social) - © D.R.

Les transformations de la communication

Pour Yann-Maël Larher, avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit du travail et du numérique, l’organisation hybride du travail représente « une véritable révolution des usages ».

« Avant, lorsque les salariés cherchaient une information, ils n’avaient pas vraiment le choix du canal. Soit ils recouraient au bouche à oreille, soit ils consultaient les tracts syndicaux ou la parole de l’employeur. Aujourd’hui, l’un des premiers canaux utilisés, ce sont les réseaux sociaux », évoque Yann-Maël Larher.

« L’information, souvent diffusée par les salariés eux-mêmes, qu’elle soit vraie ou fausse, a profondément bouleversé le dialogue social institutionnalisé. Or le salarié diffuseur de l’information, qui a un devoir de loyauté vis-à-vis de l’entreprise, n’est pas protégé. Nous voyons de plus en plus de personnes poursuivies en justice pour un tweet dénonciateur qu’elles pensaient anonyme, ce qui n’est pas le cas. »

La transformation des négociations 

Pour Pauline De Becdelievre, maître de conférences à l’ENS Paris, la transformation dans le dialogue social se situe sur ces deux niveaux lors des réunions de CSE :

  • Entre la direction et les syndicats. « Il y a une forme de théâtralité des réunions de CSE, avec la gestuelle, les éclats de voix que nous ne retrouvons pas tout à fait à distance » ;
  • Au sein même d’une organisation syndicale. « Certains syndicalistes disparaissent des radars de la négociation car ils peuvent avoir du mal à s’impliquer à distance, et d’autres continuent d'être très actifs. »

« Avant la crise sanitaire, il y avait une coexistence de pratiques, avec le dialogue social déjà numérique dans certaines entreprises et celui purement présentiel. Pendant la crise sanitaire, un seul modèle d’organisation - celui à distance - a subsisté dans de nombreuses entreprises », remarque Jérôme Chemin, secrétaire général adjoint de la CFDT-Cadres.

  • « Cela a eu des conséquences sur la négociation et sur des accords à appliquer en quelques jours seulement. Sur ces modalités, les organisations syndicales ont fait preuve d’une grande souplesse » ;
  • « Les outils de communication, sur lesquels la direction n’avait pas la main, a représenté une problématique majeure. Par exemple, des groupes de discussion informels - via Whatsapp par exemple - se sont créés, sans y inviter des membres de la direction. En session de visioconférence, il est difficile de savoir si on est écouté ou pas sans l’activation d’une caméra. Cela a un peu endommagé le dialogue social, beaucoup moins réglementé » ;
  • « Il est difficile de faire revenir les représentants du personnel à une réunion en présentiel et les présentations se font souvent par Teams, même pour les personnes en présentiel. »

« Dans ce contexte, je suis particulièrement inquiet pour les élections professionnelles de 2026-2027. »

Risques psychosociaux et gain de liberté

Anne Fourneau, directrice Support au développement d’AXA Santé & Collectives, explique qu’en 2021, l’entreprise a fait revenir les salariés dans l’entreprise. A ce jour, 100 % des salariés ont ainsi accès à une formule de travail hybride, avec un temps de télétravail de trois jours par semaine.

Elle note certaines conséquences dans cette organisation :

  • « La perte de l’unité de temps et de lieu, soit une plus grande distanciation entre les managers et les salariés, ce qui fait craindre une perte de leur engagement. C’est le sujet sur lequel l’entreprise AXA s’attache à travailler avec les représentants du personnel » ;
  • « C’est également davantage de risques pour les salariés en situation de fragilité » ;
  • « Pour les managers, c’est une transformation de leur métier qui s’opère. Par exemple, les managers de proximité sont en grande difficulté, dans le sens où leurs responsabilités sont restées les mêmes mais en l’absence des collaborateurs. Cela représente une situation d’inconfort et de perte de repères. » ;
  • « C’est néanmoins un gain de liberté pour les salariés. » 

Des accords de télétravail « peu innovants »

La coopération intersyndicale « serait intéressante pour dénouer deux points de tension suivants », souligne Matthieu Trubert, délégué syndical UGICT-CGT de Microsoft :

  • Le management de proximité. « Coincé entre les injonctions de la direction à ramener les salariés sur site, et les demandes variées des salariés eux-mêmes qui souhaitent parfois faire plus de télétravail, la position du manager est délicate : il ne doit pas se montrer trop dirigiste mais il ne doit pas non plus avoir le sentiment d'être départi de sa prérogative d’organisation collective. » ;
  • Le travail non éligible au télétravail. « Malheureusement, le télétravail est souvent érigé comme une récompense ou un privilège, au point que des accords prévoient même une compensation des salariés dont le travail n’est pas éligible au télétravail. »

L’accueil des nouveaux collaborateurs est une question qui se pose dans les accords de télétravail, remarque Jérôme Chemin. « Les stagiaires, les alternants et les intérimaires embauchés sont censés travailler sur site au début de leur contrat. Or nous avons oublié les encadrants qui devraient également être présents pour les accueillir. »

Yann-Maël Larher constate avec un certain étonnement que « tous les accords télétravail se ressemblent et ne soient pas très innovants ». En effet, pour lui le dialogue social devrait être réinventé et mieux négocié. « Le numérique peut très bien rapprocher des salariés, les faire participer davantage au collectif. Il est dommage de ne pas se saisir davantage de ces opportunités. »