Dialogue social

Sophie Binet (Ugict-CGT) : « Ce congrès a permis de montrer l’efficacité de notre action syndicale »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

450 délégués, ingénieurs, cadres, techniciens, agents de maîtrise et professions intermédiaires se sont réunis pour le 19e congrès de l’Ugict-CGT à Rennes du 23 au 26 novembre 2021. La secrétaire générale Sophie Binet fait le point sur ce rendez-vous, les revendications et les négociations en cours.

Sophie Binet secrétaire générale de l’Ugict-CGT - © Pascal Rondeau
Sophie Binet secrétaire générale de l’Ugict-CGT - © Pascal Rondeau

Quelles sont vos impressions à l’issue de ce congrès ?

Des nouveaux chantiers s’ouvrent pour cette mandature, d’abord sur la question européenne.

Le congrès s’est très bien passé. Nous avons pu approfondir les débats prioritaires liés au contexte de pandémie et de transformation du travail, avec des décisions fortes votées à 90 % des personnes présentes. Cela signifie que nous sommes très soudés.

Ensuite, la direction, qui a été renouvelée, est toujours aussi féminisée et nous permet de préparer l’avenir avec des jeunes de moins de 35 ans.

Des nouveaux chantiers s’ouvrent pour cette mandature, d’abord sur la question européenne. En effet, notre congrès a coïncidé avec celui d’Eurocadres dont l’Ugict vient de prendre la présidence via Nayla Glaise, également ingénieure chez Accenture.

Plus concrètement, sur quels sujets vont porter les négociations de l’Ugict à l'échelle européenne ?

  • Cela va déjà nous permettre d’avoir une efficacité syndicale à l'échelle européenne, notamment sur la question du télétravail. C’est un sujet sur lequel le patronat français a refusé de déboucher sur un accord contraignant. Il n’y a pas de cadre clair à ce jour sur le télétravail et nous allons essayer de gagner cette négociation sur le plan européen, y compris sur les risques psychosociaux et le droit à la déconnexion.
  • Nous sommes également en train de négocier une directive au niveau européen sur l'égalité salariale et la transparence salariale. C’est un sujet qui nous tient particulièrement à cœur, compte tenu de la dernière étude de l’Insee qui pointe des inégalités salariales de 28,5 % entre les femmes et les hommes en France et c’est entre les cadres que les écarts sont les plus élevés. Il s’agit de se battre contre l’opacité et l’arbitraire de la rémunération que l’index « Pénicaud » sur l'égalité professionnelle femmes-hommes devait corriger, ce qui est encore loin d'être le cas.

Quels ont été les autres sujets principaux abordés lors du congrès ?

C’est grâce à notre mobilisation que nous avons forcé le gouvernement à renoncer à la réforme des retraites

Le deuxième sujet d’importance porte sur la réforme des retraites. C’est grâce à notre mobilisation que nous avons forcé le gouvernement à renoncer à cette réforme, qui aurait été une grave régression pour les cadres.

En effet, cela aurait fait chuter leur taux de remplacement et cela aurait contribué à allonger la durée du travail. De plus, avec l’abaissement du plafond de cotisation, le principe de la réforme consistait à renvoyer tous les cadres supérieurs vers la capitalisation, des systèmes individualisés d'épargne retraite.

Étant donné que l'épargne retraite est soumise aux lois du marché, cela ce serait fait aux dépens des salariés. C’est contraire à la force de notre système de retraite par répartition, dont le principe est de garantir le maintien du niveau de vie de l’ensemble des salariés. C’est la raison pour laquelle les assurances et les fonds de pension lorgnent sur l'épargne des cadres.

Malgré notre victoire dans cette mobilisation, nous sommes conscients que des forces politiques et le patronat veulent relancer le dossier de la réforme. Nous avons ainsi décidé du déploiement d’un grand plan d’information et de sensibilisation sur le sujet et sur les solutions alternatives pour garantir :

  • le maintien du niveau de vie ;
  • la retraite à 60 ans.

Nous avons également débattu sur la question des salaires et des qualifications. En effet, tout le monde souffre de l’inflation mais les cadres et les professions intermédiaires sont exclus des mesures gouvernementales. Il y a un problème sur la reconnaissance des qualifications et un accroissement du mécontentement salarial.

Quelles sont les perspectives d’avenir discutées lors du congrès ?

Les perspectives d’avenir concernent :

  • La transformation numérique du travail ;
  • Le télétravail ;
  • Les enjeux environnementaux.

Avec la généralisation du flex office, contre l’avis des salariés concernés et le télétravail utilisé par certaines entreprises pour externaliser et délocaliser, il faut être vigilant : cette tentation existe pour revenir sur des droits fondamentaux.

Les cadres et les salariés de professions intermédiaires sont de plus en plus nombreux à vouloir vivre et travailler autrement. Ils souhaitent interroger le sens et la finalité de leur travail et beaucoup trouvent insupportable de nuire à l’environnement.

Quelle réponse apportez-vous à ces salariés en quête de sens ?

« Tout est à vous », une manière de dire que l’on veut retrouver la maîtrise du sens et du contenu de notre travail

C’est le sens du slogan de notre congrès : “Tout est à vous” . Une manière de dire que l’on veut retrouver la maîtrise du sens et du contenu de notre travail. 

Pour ce faire, il faut que les salariés, à commencer par ceux qui ont les responsabilités dans l’entreprise, puissent promouvoir leur éthique de l’intérêt général sur les considérations financières, notamment à travers des droits d’information et d’intervention sur les orientations stratégiques des entreprises.

Les innovations et le numérique pourraient être utilisés pour apporter des réponses au défi environnemental. Au lieu de cela, ils sont captés pour dégager de la valeur pour les actionnaires, bien souvent au détriment de l’environnement, comme la 5G.

Quel est le bilan de votre activité que vous avez également abordé ?

Ce congrès a été une occasion pour montrer l’efficacité de notre action syndicale, à travers des exemples concrets, comme la réforme des retraites ou l’accord national d’encadrement qui permet de maintenir le statut de cadre. La CGT s’est battue pour obtenir cet accord qui est normatif d’un point de vue interprofessionnel, ce qui assez rare pour le souligner.

Cet accord comporte 3 critères :

  • La notion de qualification, liée aux diplômes et non aux compétences individuelles ;
  • Il conforte le rôle donné à l’Apec pour déterminer les catégories éligibles et le périmètre du statut de l’encadrement;
  • Il pérennise la prévoyance des cadres avec la participation spécifique de l’employeur.

La loi El Khomry viole la charte européenne des droits sociaux dont la France est signataire

Par ailleurs, dans les exemples concrets de l’efficacité de notre action collective, nous venons de gagner la condamnation de la France par le Comité européen des droits sociaux sur la limitation de la durée du travail des cadres au forfait jours. Avec la CFE-CGC, c'était la quatrième fois que nous faisions un recours contre ce forfait.

En effet, la Loi El Khomry [nldr : loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels] viole la charte européenne des droits sociaux dont la France est signataire. Elle ne garantit pas le respect des périodes de repos, que le salaire soit lié au temps de travail et donc à la rémunération des heures supplémentaires.

Sur la base de cette condamnation, la Cour de cassation et les tribunaux annulent régulièrement les accords collectifs sur le forfait jours et des salariés ont pu obtenir des rappels importants de salaires aux prud’hommes. Avec près de la moitié des cadres qui sont en forfait jour (47 % selon une étude de la Dares de juillet 2015)  soit plus de 2 millions de salariés qui travaillent en moyenne 46 heures par semaine, nous sommes, en France, au-dessus des plafonds légaux. Les atteintes sur la santé sont documentées, d’où la nécessité d’un changement de loi.

Rapport d’ouverture du 19e congrès de l’Ugict-CGT