Dialogue social

Matthieu Saintoul (FO) : « Le syndicalisme, c’est l'école de l'émancipation »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Pour Matthieu Saintoul, militant à l’union départementale Force ouvrière de Paris, les droits des salariés sont menacés par le modèle des plateformes de livraison.
Il revient sur son parcours syndical à FO, les origines de son engagement et sur les sujets qu’il porte.

Matthieu Saintoul, FO - © Frédéric Blanc
Matthieu Saintoul, FO - © Frédéric Blanc

Quel est votre parcours ?

Le militantisme de terrain me manquait, c’est pourquoi je suis aujourd’hui à l’union départementale. C’est un retour aux sources

C’est en 2009 que j’ai adhéré à Force ouvrière. C'était ma première et seule adhésion dans une organisation syndicale. Cette année, j'étais responsable du service après-vente d’un magasin Lapeyre. Très rapidement, j’ai constaté que mes droits et ceux de mes collègues n'étaient pas respectés.

A l'époque, la loi sur la représentativité n'était pas encore appliquée dans l’entreprise où j'étais et nous pouvions désigner librement des délégués syndicaux, ce qu’a fait ma fédération. C’est donc très rapidement que je suis devenu délégué syndical sur un périmètre national.

J’ai été élu au CE, au CHSCT et délégué du personnel jusqu’en 2015, l’année où j’ai quitté l’entreprise.

J’ai également eu des mandats pour la Fédération des employés cadres Force ouvrière et j’ai participé aux négociations de branche dans le secteur du bricolage, sur la convention collective, sur le suivi de la formation professionnelle et ses budgets notamment.

En 2022, je suis devenu permanent syndical à l’union départementale de FO Paris à temps complet. Avant cela, à partir de 2019, j’ai également été assistant confédéral, comme son nom l’indique, à la confédération. Mais le militantisme de terrain me manquait, c’est pourquoi je suis aujourd’hui à l’union départementale. C’est un retour aux sources.

Quel est le moteur de votre engagement ?

Je suis menuisier de formation et j’ai été formé chez les Compagnons du Devoir.

Comme j’ai bénéficié d’une formation reconnue et que j'étais dans un métier où le travail ne manque pas, je changeais de patron lorsque je n'étais pas satisfait de mes conditions, ce qui a souvent été le cas.

Mais j’ai également été licencié de façon abusive en 2006 et c’est là que mon premier contact s’est fait avec FO qui m’a défendu.

Pourquoi avez-vous choisi Force ouvrière ?

Avec mes différents mandats, j’ai pu me former en profondeur, affuter ma critique du monde dans lequel nous vivons, mais aussi acquérir des connaissances techniques nouvelles

J'étais principalement entouré de personnes adhérentes à la CGT. Mais un proche m’a conseillé d’aller à FO, ce que j’ai fait et je ne regrette pas une seconde mon choix.

Je suis dans une organisation où les camarades peuvent avoir des convictions très variées mais ils se retrouvent toujours sur la défense des droits des travailleurs. Cette hétérogénéité me semble indispensable. C’est notre ADN, Nous menons nos actions indépendamment des partis au pouvoir, et seulement dans le but de défendre les intérêts des salariés et ce d’où qu’ils viennent, quelles que soient leurs croyances ou leurs opinions. Cette philosophie m’a convaincu et je reste persuadé que c’est en réunissant la classe laborieuse que nous pourrons y arriver.

Avec mes différents mandats, j’ai pu me former en profondeur, affuter ma critique du monde dans lequel nous vivons, mais aussi acquérir des connaissances techniques nouvelles, comme la lecture de comptes de résultat, ou encore la rhétorique. Cela suppose de prendre la parole en public, notamment devant des P-DG qui nous prennent de haut. Cela m’a permis de prendre un peu d'épaisseur pour leur apporter la contradiction. C’est ainsi que j’ai acquis ces compétences et que j’ai pu m'épanouir grâce au syndicalisme.  

Pour résumer, on ne sait pas toujours pourquoi on vient à FO mais on sait pourquoi on y reste.

Quel est l'événement marquant de votre parcours ?

Entre 2013 et 2014, le gros sujet que j’ai eu à traiter au niveau de la branche portait sur le travail dominical. Ainsi, Leroy Merlin, Castorama, notamment, ont beaucoup communiqué sur la soi-disant nécessité d’ouvrir les magasins de bricolage le dimanche.

Le gouvernement de l'époque de Jean-Marc Ayrault, avec l’aide du ministre du travail Michel Sapin, nous a imposé de nous asseoir autour de la table avec les entreprises du secteur et de négocier les conditions du travail le dimanche. Or nous étions opposés au travail dominical et nous le sommes toujours d’ailleurs.

A cette occasion, j’ai pu constater de mes propres yeux la collusion entre le gouvernement et le patronat.

Quels principes appliquez-vous pour mener une négociation ?

Le plus important est de bien comprendre le rapport de force qui existe dans l’entreprise et à titre individuel, il faut être le plus investi possible.

Par ailleurs, il faut faire confiance aux camarades qui constituent la délégation et savoir qu’on peut compter les uns sur les autres. Avec l’habitude, chacun connait son rôle.

Aujourd’hui, pour moi, la négociation est très différente car lorsque j’interviens je suis désormais toujours externe à l’entreprise. Cela me permet de prendre du recul vis-à-vis des enjeux. Ainsi mes interlocuteurs font généralement attention à ce que je dis, non pas parce que c’est moi mais pour ce que je représente : la troisième organisation syndicale française.

Sans compter qu’aujourd’hui, je peux solliciter de façon un peu plus active l’inspection du travail ou encore nos services juridiques et/ou nos avocats.

Quels sont les sujets que vous portez actuellement dans vos revendications ?

Il y a quelques années, pour réduire le coût du travail, les entreprises délocalisaient leurs activités dans des pays comme la Chine. Désormais, la délocalisation se fait à l’intérieur même de notre pays

En dehors des sujets portés par la confédération comme le devenir de l’assurance chômage ou des retraites, le sujet sur lequel je travaille particulièrement concerne les plateformes de livraison.

Ces plateformes qui n’ont recours qu'à des auto-entrepreneurs, sans contrat de travail sont un désastre. Le statut de ces livreurs est, de mon point de vue, de très mauvais augure pour l’ensemble des salariés, peu importe le secteur. Si nous ne faisons rien, la totalité des métiers pourraient subir le même sort. En effet, nous arrivons aujourd’hui à l’aboutissement d’une idée mise en place dans les années 70 : l’externalisation. Quant au début il s’agissait d’externaliser les femmes de ménages, puis les services de paie, maintenant, avec leur méthode, n’importe quel métier peut être externalisé.

Il y a quelques années, pour réduire le coût du travail, les entreprises délocalisaient leurs activités dans des pays comme la Chine. Désormais, la délocalisation se fait à l’intérieur même de notre pays. Ainsi, les métiers qui ne sont pas délocalisables sont potentiellement « uberisables ». C’est pourquoi, il est nécessaire d’interdire les auto-entrepreneurs dans ce cadre.

Quant aux entreprises comme Just Eat, Getir, Flink ou Gorillas, elles salarient les livreurs mais elles appliquent le plus possible les mêmes méthodes qu’Uber Eats ou Deliveroo. Toujours « grâce » aux évolutions législatives de ces dernières années ces entreprises font tout pour pouvoir déroger aux conventions collectives. Ainsi, les droits des salariés sont réduits à leur strict minimum.

Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?

Toutes les bonnes volontés sont évidemment les bienvenues. A une personne souhaitant s’engager, je ferais tout pour qu’elle se sente à sa place et je lui dirais qu’elle ne s’est pas trompée de combat. Non seulement nous luttons pour les droits de tous les travailleurs mais le syndicalisme c’est aussi le moyen de s’élever, c’est l’école de l’émancipation.

Comment percevez-vous l'évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?

Nous constatons l’acharnement des gouvernements successifs qui sans cesse attaquent nos droits, parfois même des droits constitutionnels comme celui de faire grève

Le syndicalisme est une nécessité et a encore toute sa place.

En effet, nous constatons l’acharnement des gouvernements successifs qui sans cesse attaquent nos droits, parfois même des droits constitutionnels comme celui de faire grève, mais aussi des attaques sur le Code du travail, la protection sociale. Tout cela mène à une casse de la fonction publique.

Le travail ne manquant pas, le syndicalisme a encore de beaux jours devant lui.