Dialogue social

Dialogue social : quel est impact de la « giletjaunisation » des mouvements sociaux ?

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Comment gérer les risques de débordement de collectifs spontanés aux dépens des syndicats installés en entreprise ? Lors d’un débrief le 1er février 2023, David Guillouet et Olivia Guilhot, avocats associés de Voltaire Avocats, ont fait le point sur la « giletjaunisation » des mouvements sociaux en entreprise et leur impact sur le dialogue social.

Dialogue social : quel impact de la « giletjaunisation » des mouvements sociaux ? - © D.R.
Dialogue social : quel impact de la « giletjaunisation » des mouvements sociaux ? - © D.R.

Mouvement des « Gilets jaunes » : un dialogue social plus complexe

Le mouvement des « Gilets jaunes » a récemment fait des émules, notamment lors du collectif pour la survie des boulangeries et de l’artisanat, la grève des médecins généralistes ou celle des contrôleurs de la SNCF.

C’est un mouvement dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • créé sur les réseaux sociaux ;
  • alimenté en dehors de tout cadre syndical ;
  • à l’origine destiné à protester contre la hausse des prix des carburants ;
  • marqué par une certaine radicalité.

En l’absence de structures représentatives, de leader et de revendications claires, le dialogue social s’est complexifié. En effet, l’objet de ces mouvements n’est pas de représenter mais de laisser éclater une colère et de s’opposer. Ils expriment une tension entre la société et ses institutions.

Par ailleurs, le taux de syndicalisation en France est l’un des plus faibles d’Europe, ce qui s’explique notamment par :

  • Le recul de l’emploi dans le secteur secondaire et la baisse du nombre d’ouvriers dans des secteurs qui ont constitué des bastions du syndicalisme (métallurgie, sidérurgie…) ;
  • L’individualisation du rapport au travail ;
  • Le sentiment que les syndicats ne comprennent pas les problèmes des salariés ;
  • La peur des représailles de la direction ;
  • La division du paysage syndical.

Le renforcement législatif de la négociation collective

« Ce qui paradoxal, c’est que le législateur n’a eu de cesse de renforcer la place de la négociation collective dans l’entreprise et la légitimité des acteurs de la négociation collective », observent David Guillouet et Olivia Guilhot.

Comme l’atteste la chronologie suivante :

  • Loi Auroux, 1982, avec la création de l’obligation annuelle de négocier dans les entreprises dotées de délégués syndicaux ;
  • Loi du 4 mai 2004 : l’accord d’entreprise peut déroger dans un sens défavorable pour les salariés à un accord de branche, si ce dernier n’interdit pas ce type de dérogation ;
  • Loi du 20 août 2008 : les syndicats doivent prouver leur représentativité, notamment fondée sur l’élection. L’accord de branche devient supplétif dans un grand nombre de domaines relatifs à la durée du travail : il ne s’applique qu’à défaut d’accord d’entreprise ;
  • Loi El Khomri du 8 août 2016 (Loi travail) qui prévoit un nouvel assouplissement pour favoriser le recours à la négociation collective d’entreprise sur de nombreux thèmes ;
  • Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 qui prévoient la primauté de l’accord d’entreprise, sauf dans certains domaines.

La nécessaire adaptation du dialogue social

Si la présence d’interlocuteurs syndicaux permet de s’adapter au plus près la norme sociale, « le dialogue social dans l’entreprise reste possible en l’absence de syndicat », soulignent David Guillouet et Olivia Guilhot.

Pour rappel, la liberté syndicale dans l’entreprise s’organise autour de trois principes suivants :

  • La liberté d’adhérer ou non à un syndicat ;
  • L’obligation pour l’employeur de rester neutre vis-à-vis des divers courants syndicaux présents dans l’entreprise ;
  • L’interdiction de prendre des mesures discriminatoires contre un salarié en raison de son appartenance syndicale ou de ses activités syndicales.

Lors des élections professionnelles, les syndicats sont invités à négocier le protocole d’accord préélectoral (PAP) et ont le monopole des candidatures au 1er tour. Pour autant, des salariés sans étiquette peuvent être élus au 2e tour. Il est par ailleurs possible de négocier des accords collectifs en l’absence de délégués syndicaux.

Enfin, il est à noter que les syndicats n’ont pas le monopole de la grève. Ils portent généralement les revendications des salariés auprès de l’employeur mais rien n’interdit aux salariés de les présenter directement à l’employeur.

L’intérêt de la négociation collective dans l’entreprise

La conclusion d’un accord collectif peut s’avérer nécessaire pour mettre en place ou aménager certains dispositifs, parmi lesquels :

  • L’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine (dispositif supplétif limité à 9 semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés et 4 semaines pour les entreprises de 50 salariés et plus) ;
  • La conclusion de conventions individuelles de forfait annuel en heures ou en jours ;
  • Le travail de nuit ;
  • La mise en place d’équipes de suppléance ;
  • Le recours au CDD à objet défini, impossible sans accord.

Les dispositifs pouvant être aménagés par accord collectif sont aussi les suivants :

  • Le taux de majoration des heures supplémentaires, avec un minimum de 10 % (article L.3121-33 du Code du Travail) ;
  • La détermination du contingent annuel d’heures supplémentaires ;
  • La réduction de la durée des mandats des membres du CSE, dans la limite de 2 ans ;
  • L’aménagement des consultations et informations récurrentes du CSE : contenu, périodicité, délai pour formuler les avis, etc. ;
  • La modification des modalités de la négociation obligatoire : périodicité, contenu de la négociation, etc. (article L.2242-10 du Code du Travail).

Le cas des restructurations

La signature d’un accord majoritaire permet d’accompagner les réorganisations au sein de l’entreprise. « L’accord de performance collective peut ainsi être mobilisé pour préserver ou développer l’emploi ou répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ».

L’accord de performance collective peut procéder aux aménagements suivants :

  • La durée du travail des salariés ;
  • La rémunération des salariés, dans le respect du Smic et des minima conventionnels ;
  • Les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise à déterminer.

L’accord de performance collective se substitue donc de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail.

Concepts clés et définitions : #Smic ou Salaire minimum interprofessionnel de croissance