Dialogue social

Laurent Pouillen (FGTA-FO Danone) : «  Protéger les salariés d’une vision court-termiste »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Coordonnateur FGTA-FO Danone, Laurent Pouillen trouve dans le syndicalisme une manière de toujours « enrichir ses connaissances et de parfaire ses compétences ». Il revient sur son parcours, le dialogue social chez Danone, l'évolution des mandats des représentants du personnel et des méthodes de négociation collective.

Laurent Pouillen Coordonnateur FGTA-FO Danone - © D.R.
Laurent Pouillen Coordonnateur FGTA-FO Danone - © D.R.

Comment êtes-vous devenu syndicaliste ?

Ma fibre syndicale s’est construite au fil des années dans mon travail, lorsque je suis entré chez Danone, à la Société des eaux de Volvic en 2004. Je ne me sentais pas représenté par le syndicat en place peu proche du terrain et qui appelait à des mouvements de grève sans que je ne comprenne vraiment pourquoi.

Pour avoir une vision plus globale dans mon métier très technique dans la maintenance industrielle, je voulais élargir mes connaissances et mes compétences. J’avais des contacts familiaux à FO, j’ai eu des échanges avec le coordonnateur, et j’ai tout de suite adhéré à sa façon moderne de voir les choses, notamment en intégrant les questions des évolutions technologiques, de la digitalisation et en essayant d’anticiper le monde de demain.

  • En 2010, j’ai monté mon organisation syndicale. J'étais d’abord délégué syndical, membre du CE et des DP mais je me suis davantage plu dans les relations sociales plutôt que dans mon travail opérationnel. Je suis ensuite monté au niveau du Groupe pour FO, j’ai rapidement participé à des négociations et intégré le Comité de Groupe France de Danone.
  • J’ai également participé à quelques négociations au niveau de la branche des Boissons Rafraîchissantes Sans Alcool (BRSA).
  • En 2018, j’ai pris le mandat de coordonnateur national syndical pour Danone lorsque le poste s’est libéré.

Pourquoi avez-vous choisi de devenir coordonnateur ?

Ce mandat nécessite un fort investissement et de nombreux déplacements principalement à Paris, en tout cas avant la crise sanitaire. Mon objectif était d’accompagner et de faire grandir les équipes FO de Danone dans la continuité du travail de mon prédécesseur à Volvic.

J'étais très attiré par la vision élargie au niveau du groupe

J'étais aussi très attiré par la vision élargie au niveau du groupe, car je savais que les sujets et les enjeux de la négociation allaient être de plus en plus traités au niveau du Groupe national. En effet, Danone se transforme encore aujourd’hui pour mutualiser les différentes sociétés en France en une seule, et pour être un acteur important, il me semblait intéressant de devenir coordonnateur.

Comment se passe le dialogue social chez Danone ?

Quand on est syndicaliste chez Danone, on est reconnu comme un véritable partenaire de la relation sociale. L’entreprise voit les relations sociales comme un vecteur de progrès

L’entreprise voit les relations sociales comme un vecteur de progrès

et les partenaires sociaux sont associés à l'évolution économique de l’entreprise. J’ai pu élargir mes compétences et mes connaissances dans les négociations et plus largement dans le dialogue social.

Fédérer des équipes m’a permis de comprendre tout le potentiel de nos actions. Nous sommes toujours parvenus, jusqu’à présent, à trouver une solution malgré certains conflits. On peut donc dire que le dialogue social est bon et j’espère qu’il le restera malgré le changement de gouvernance et de structuration de l’entreprise.

Quels sont les moments les plus marquants de votre parcours ?

la présence physique reste primordiale pour moi, pour créer de la proximité avec les interlocuteurs

Ce qui a le plus marqué ma fonction, ce sont ces 3 dernières années. Elles ont été intenses, notamment avec la mise en place du CSE, les élections professionnelles puis la crise sanitaire qui a beaucoup changé les manières de travailler et la gestion des relations sociales à distance. Cependant, la présence physique reste primordiale pour moi, pour créer de la proximité avec les interlocuteurs. 

La crise sanitaire a engendré une crise économique et une crise de gouvernance chez Danone. Lorsque Emmanuel Faber a été évincé, cela a montré le manque de cohésion au sein du Conseil d’Administration et le danger des fonds activistes. Tout cela a créé une immense agitation dans le groupe, avec le choc du plan social qui a suivi, sans Directeur Général pendant des mois.

La gestion de la crise est particulièrement complexe et suscite encore aujourd’hui de nombreuses inquiétudes sur l’avenir du groupe, très vulnérable de par le bas niveau de son action boursière et une nouvelle gouvernance en phase de transition.

Comment, dans votre fonction, avez-vous géré ces récents bouleversements ?

le syndicalisme se doit de protéger les salariés de cette vision court-termiste et de cette course à la rentabilité

Nous avons réalisé que la priorité était de préserver le modèle du groupe, auquel les salariés sont très attachés. Nous avons activé certains leviers externes via les pouvoirs publics et les médias pour sensibiliser l’opinion publique sur la vulnérabilité de ce fleuron français de l’industrie agroalimentaire. 

Il s’agit également de se battre contre des objectifs court-termistes des fonds activistes, très dangereux pour les relations sociales mais aussi pour les entreprises engagées RSE comme Danone qui ont une stratégie à moyen / long terme.

La rentabilité reste le premier objectif pour une entreprise mais le syndicalisme se doit de protéger les salariés de cette vision court-termiste et de cette course à la rentabilité complétement destructrice en matière sociale et environnementale.

Après la transformation des premiers CE en CSE, quelles ont été les conséquences de cette évolution pour vous ?

il est question de faire des syndicalistes « bons sur tout », mais finalement experts sur rien

L'évolution des CE en CSE est très négative. Avec la diminution des moyens des représentants du personnel, la qualité du dialogue social a considérablement baissé.

Auparavant dans les CHSCT, il y avait un haut niveau d’expertise. Aujourd’hui, il est question de faire des syndicalistes « bons sur tout », mais finalement experts sur rien car l’investissement devient énorme et les moyens insuffisants.

La fusion des instances n’est qu’une manière de professionnaliser les syndicalistes, pour les évincer au bout de 3 mandats. Ce n’est pas motivant et cela rend plus difficile de trouver des syndicalistes aguerris qui maîtrisent les sujets.

Si à chaque élection, nous avons des novices, il faut du temps pour former, accompagner et maîtriser les sujets. Je crois que ce n’est pas non plus profitable aux entreprises qui y perdent en qualité des relations sociales.

Quelles sont les négociations en cours chez Danone ?

Au niveau national, nous venons de conclure un accord sur la diversité inclusive. Il regroupe :

  • L'égalité femmes/hommes ;
  • L’inclusion ;
  • Le handicap.

La crise sanitaire étant un accélérateur de transformations, l’année prochaine, nous devrions avoir une négociation sur les nouvelles façons de travailler, comme le télétravail, et en lien avec la renégociation de l’accord Qualité de Vie au Travail France qui est arrivé à échéance.

Quels sont les principes d’une bonne négociation, selon vous ?

Quand on évolue dans le syndicalisme, on est souvent autodidacte. Même si je suis fort de mes expériences dans le syndicalisme, je souhaite enrichir mes connaissances stratégiques, liées aux relations sociales.

C’est pourquoi je me suis inscrit en Master 2 de négociation et relations sociales à Paris Dauphine. C’est un parcours diplômant me permettant de parfaire mes connaissances mais aussi de me donner la possibilité valorisante de me réorienter si nécessaire.

Pour moi, une bonne négociation, c’est d’abord d’avoir les moyens suffisants pour la préparer dans un accord de méthode de façon à la rendre constructive et équilibrée, à savoir :

  • La formation pour s’assurer de la maîtrise des sujets et de la qualité des échanges ;
  • L’accompagnement par des cabinets de conseil et juridique ;
  • Des moyens de temps pour les délégations ;
  • Bien connaître les demandes de toutes les parties ;
  • Bien définir le périmètre de la négociation
  • Bien connaître la stratégie du groupe et les attentes de la direction et de chaque partie ;
  • Apprendre à s’entendre et essayer de trouver des points de convergence pour aboutir à un accord ;
  • S’assurer du bon déploiement des mesures mises en place.

Comment voyez-vous la suite de votre parcours ?

Danone étant en pleine mutation, nombreux sont mes confrères syndicaux qui partent. Je pense que l’entreprise a besoin des jeunes mais aussi de salariés avec de l’ancienneté pour rappeler aux nouvelles gouvernances que le double projet économique et social, initié par la famille Riboud et développé par Emmanuel Faber doit perdurer. 

Des enjeux majeurs arrivent devant moi, ce qui me donne envie de m’inscrire sur la durée chez Danone et de continuer à accompagner les équipes.